Droit constitutionnel régional africain
Par Orhan • 26 Octobre 2018 • 11 136 Mots (45 Pages) • 339 Vues
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La présente analyse s’appuiera sur les constitutions des Etats concernés, les instruments juridiques régionaux, la jurisprudence pertinente des cours constitutionnelles et des cours régionales africaines et le recours à une approche de droit comparé qui se voudra prospective afin de saisir toutes les virtualités contenues dans certaines normes constitutionnelles.
Pour parvenir à cerner l’impact du droit régional africain, on examinera les fondements constitutionnels de ce droit régional (I) avant de nous pencher sur sa dimension constitutionnelle (II).
- Les fondements constitutionnels du droit régional africain
Le droit régional africain ne peut avoir d’influence sur les constitutions des Etats ouest-africains d’expression française que si celles-ci s’ouvrent explicitement ou implicitement au régionalisme africain. Cette ouverture se matérialise dans plusieurs constitutions par la consécration du principe de l’abandon partiel ou total de la souveraineté en vue de la réalisation de l’unité africaine (A) et par l’incorporation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dans le bloc de constitutionnalité (B).
- Le principe de l’abandon partiel ou total de la souveraineté en vue de la réalisation de l’unité africaine
Le principe de l’abandon partiel ou total de souveraineté en vue de la réalisation de l’unité africaine est la base constitutionnelle la plus solide du régionalisme africain (1) en ce qu’il permet potentiellement des transferts illimités de compétences aux organisations africaines d’intégration régionale (2).
- Un fondement constitutionnel à l’intégration régionale africaine
Selon l’article 146 de la Constitution du Burkina Faso, « Le Burkina Faso peut conclure avec tout Etat africain des accords d’association ou de communauté impliquant un abandon total ou partiel de souveraineté ».[32] Cette disposition est une reprise d’une disposition presque similaire figurant dans les constitutions malienne[33] et nigérienne[34] avec néanmoins la précision que cet abandon partiel ou total de souveraineté s’effectue en vue de la réalisation de l’unité africaine. Elle a été mentionnée pour la première fois dans la constitution de la Guinée du 10 novembre 1958.[35] Le principe de l’abandon partiel ou total de la souveraineté se retrouve juste après dans la première constitution du Mali et sera maintenu dans toutes les constitutions successives de ce pays.[36] Il en est de même en République Démocratique du Congo (RDC) dont la Constitution du 24 juin 1967 qui consacrait le même principe en son article 69. Cette disposition sera reprise dans les différentes constitutions successives de la RDC jusqu’à l’article 217 de l’actuelle constitution qui est du 18 février 2006.[37] Le principe de l’abandon partiel ou total de la souveraineté en vue de la réalisation de l’unité africaine apparaît aussi dans la troisième constitution du Burkina Faso, celle du 13 décembre 1977 en son article 10.[38] Il sera maintenu dans l’actuelle Constitution de ce pays, celle du 2 juin 1991. On retrouve la même disposition dans la Constitution nigérienne du 22 décembre 1992 et elle survivra aux différents changements de république.[39] Enfin, le Sénégal[40] prévoit la même disposition dans sa constitution du 22 janvier 2001 en son article 96 (3). Même si la première consécration constitutionnelle de cette disposition est le fait de la république de Guinée, sa paternité véritable est attribuée au premier président malien Modibo Kéita. L’inclusion de cette disposition dans la Constitution malienne fait suite à l’échec de la création de la Fédération du Mali, tentative d’union fédérale entre le Soudan français (actuel Mali), le Sénégal, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et le Dahomey (actuel Benin) puis à l’éclatement de la Fédération du Mali qui regroupait le Mali et le Sénégal.[41]
Durant les deux premières décennies qui ont suivi les indépendances, ce principe n’a pas été utilisé pour justifier l’adhésion des Etats aux organisations régionales africaines, qu’elles soient politiques ou économiques. Le recours à ce principe se fera sentir par contre dans le cadre de l’intégration juridique africaine avec le traité créant l’Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) adopté le 17 octobre 1993. Ce traité institue quatre organes dont deux nous intéressent en particulier, le Conseil des Ministres et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) dont les attributions pouvaient être considérées comme portant atteinte à la souveraineté des Etats membres notamment sur le plan législatif et judiciaire. Au niveau législatif, le Conseil des Ministres dispose du pouvoir d’adopter des Actes uniformes qui ont une valeur législative et sont des « actes pris pour l’adoption des règles communes ».[42] Les parlements nationaux des Etats membres sont donc privés d’une partie de leur pouvoir de légiférer.[43] Mais plus important, « […] en ce qui concerne la Cour commune de Justice et d’Arbitrage, le fait qu’elle puisse contredire et même annuler une décision d’une Cour de Cassation (Article 18) est contraire aux dispositions de certaines constitutions prévoyant que la Cour suprême ou l’institution qui en tient lieu rend des arrêts contre lesquels aucun recours n’est possible. D’une façon générale, il faut reconnaître que le pouvoir de réformation de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage est l’exercice d’un pouvoir juridictionnel que le Traité de Rome (Article 177) ne donne pas à la Cour de Justice des Communautés Européennes qui n’intervient qu’à titre ‘‘préjudiciaire’’».[44] Telle a aussi été la position défendue par la Cour suprême de la République du Congo.[45]
En dehors de la République du Congo, les juges constitutionnels sénégalais et béninois ont eu à connaître de la constitutionnalité du traité OHADA.[46] Les juridictions constitutionnelles des autres Etats membres n’ont tout simplement pas été saisies par les autorités compétentes de la question de la compatibilité du traité OHADA à leurs constitutions.[47] Cependant, si les juridictions constitutionnelles du Burkina Faso, du Mali et du Niger avaient été saisies, elles auraient certainement conclu à la constitutionnalité dudit traité en raison du principe de l’abandon partiel ou total de la souveraineté en vue de la promotion de l’unité africaine contenu dans les textes constitutionnels de ces Etats. Cette position est partagée par la doctrine.[48] Elle
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