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Les Liaisons dangereuses (1782) Choderlos de Laclos (1741-1803)

Par   •  11 Avril 2018  •  2 042 Mots (9 Pages)  •  559 Vues

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en est que l'expression anaphorique « ce n'est pas ma faute » (l.22, 24...), qui termine chaque paragraphe de la lettre, rappelle le leitmotiv religieux mea culpa, mais de façon blasphématoire.

-Les motifs invoqués pour la rupture sont volontairement cruels : la lassitude (« quatre mortels mois » l.23-24) ; le fait que la femme ait cessé de résister (« j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu » l.25) ; la volonté d'une autre femme (« une femme [...] exige que je te sacrifie » l.29). Le refrain « ce n'est pas ma faute » vise à décharger de toutes responsabilités celui qui l'écrit : l'inconstance amoureuse est en effet présentée comme une loi irréfutable énoncée au présent de vérité générale : « c'est une Loi de la Nature » (l.22), « Ainsi va le monde » (l.35). Pire encore, la responsabilité de la rupture est rejetée sur Mme de Tourvel sur laquelle pleuvent les accusations : on lui reproche son peu de « vertu » (l.25), son « impitoyable tendresse » (l.27) et son « obstination » (l.31). Mais la cruauté ultime consiste à dégrader l'image que les deux amants auraient pu conserver de leur liaison. Celle-ci est réduite à un épisode médiocre et insignifiant : « une aventure qui m'a occupé » (l.23).

b- Une mise à mort

-L'efficacité de la lettre réside dans l'absence totale d'empathie et de compassion. Les faits s'énoncent brutalement, sans aucune forme d'atténuation : « je m'ennuie » (l.23), « je t'ai trompée » (l.27), « je te sacrifie » (l.29), « je te quitte sans regret » (l.34). Ces mots, précis et sans équivoque, tombent chacun comme un couperet. Il s'agit bien d'une mise à mort : « je te sacrifie ». Le refrain se révèle d'autant plus redoutable qu'il est adressé huit fois, comme pour décupler le coup porté, à une

dévote qui a commis une faute. Mais le comble de l'insulte pour la vertueuse Présidente est d'être ravalée au rang d'une femme objet « je t'ai prise avec plaisir » (l.34), et d'être assimilée à une libertine, comme l'évoque la comparaison renforcée par le parallélisme : « choisis un autre Amant comme j'ai fait une autre Maîtresse » (32). L'honneur de Mme de Tourvel est définitivement bafoué.

-L'ironie parachève la vengeance de Mme de Merteuil. Ainsi l'appellation légère et tendre, « mon Ange » qui encadre la lettre (l.22 et34) n'a d'autre but que d'assener deux coups supplémentaires en utilisant un terme religieux de dévotion au service de la destruction. Cette lettre pourrait ressembler à un élégant badinage (quelques couplets et un refrain), mais elle cache à s'y méprendre une arme monstrueuse et foudroyante. Mme de Tourvel, ignorant la supercherie de Mme de Merteuil, pensera entendre la voix de Valmont. Elle s'alitera pour mourir.

c- Le libertinage : une morale en négatif

-Les valeurs du XVIIIème siècle sont toutes prises à rebours dans une lettre qui se présente comme un négatif de la morale de l'époque. La légèreté des relations renvoie à une désinvolture grossière, avec des allusions à la liberté sexuelle qui ont choqué les contemporains de Laclos : « une aventure » (l. 23), « je t'ai trompée » (l. 27), « choisis un autre Amant » (l. 32), « je t'ai prise » (l.34). Toute affectivité est volontairement gommée. Dans ce contexte les valeurs morales sont anéanties : la « vertu » est pesante, la « tendresse » est « impitoyable », le « parjure » (l.30) est dédramatisé et les valeurs religieuses sont salies.

-Ce qui renforce le scandale est que le libertinage s'instaure comme une philosophie absolue, qui donne raison aux lois de la « Nature » (l. 22 et 30), et tout ceci au nom de la liberté, une liberté cependant ambiguë puisqu'elle défend d'aimer.

Conclusion

Ce texte consacre la supériorité de Madame de Merteuil sur le Vicomte de Valmont. La Marquise réussit le double exploit de manipuler Valmont à distance et d'évincer définitivement, par lettre interposée, la

Présidente de Tourvel. Pour ne pas faillir à sa réputation, le Vicomte, se hâtera inconsidérément de reprendre la lettre à son compte et de l'envoyer à Mme de Tourvel sans en mesurer toute la cruauté. Croyant oeuvrer pour sa liberté menacée, il ne fera pourtant que se mettre sous la coupe de la Marquise

-Pour ceux qui ont lu Les Liaisons dangereuses, il peut être intéressant d'annoncer la suite, ne serait-ce qu'en évoquant la surprise de la lettre 145 dans laquelle la Marquise, loin de féliciter le Vicomte de cette rupture, se moque au contraire de sa naïveté, et lui explique comment elle est parvenue à le manipuler au point qu'il lui sacrifie une femme qu’il aimait. [Il faut comprendre que l'admiration dont la marquise veut faire l'objet n'est possible que dans le seul regard de Valmont

-Il semble aussi que Valmont soit plus attaché à ses principes de roué (=de libertin) qu’à son amour pour Mme de Tourvel. Il place, comme le faisait les héros cornéliens, le souci de sa gloire au-dessus des sentiments qu’il ressent. Confronté au dilemme d’un amour qui s’oppose à son honneur de libertin, c’est finalement cet honneur qu’il choisit. On retrouve l'honneur

aristocratique, mais transposé aux codes de conduite du libertinage.

-En lien avec la séquence sur le personnage monstrueux : la question de la perversité conduit à s'interroger sur la nature du mal et sur ses causes : est-ce l'individu qui est monstrueux ou la société ? La question se pose. La marquise de Merteuil s'adonne au libertinage à cause de l'oppression subie par la femme dans la société. On peut ainsi rapprocher Madame de Merteuil et Thérèse Desqueyroux, qui toutes les deux, à deux siècles d'intervalle, en viennent à réagir violemment parce que la société leur

impose une vie qui ne les satisfait pas.

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