Velasquez, le statut de l'artiste
Par Ninoka • 28 Septembre 2018 • 2 211 Mots (9 Pages) • 713 Vues
...
A Madrid, Velasquez mène une double vie d’artiste et de courtisan. Il fréquente un milieu de lettrés et d’amateurs d’art à la cour du roi, évoluant dans un milieu mondain et fastueux, pour qui l’art est un moyen d’exprimer la grandeur (passée ?) de l’Espagne. Il a accès aux collections royales, opportunité incomparable qui lui permet de côtoyer de nombreux chefs-d’œuvre, et dont l’influence est sensible dans sa peinture. On a déjà parlé, notamment, de son amour avoué pour le Titien. Sa fonction de peintre est presque publique : le roi n’hésite pas à assister, en personne, au travail de Velasquez dans son atelier. Cette proximité avec le souverain ne se dément jamais, et l’avancée de Velasquez en tant que peintre est intrinsèquement liée à son rôle de courtisan.
Son premier voyage en Italie, de 1629 à 1631, est symbolique de cette double fonction artistique et politique de Velasquez. Si ce séjour a une vocation artistique, celle de se confronter à la production artistique italienne, Velasquez n’en est pas moins reçu avec des honneurs qui sont dus à un diplomate européen. Le peintre se joint à la suite du diplomate et militaire génois Ambrogio Spinola, et se fait recevoir par des ambassadeurs : par exemple, il mange à la table de l’ambassadeur d’Espagne à Venise, qui le couvre d’égards et le traite en véritable diplomate.
Lors de son deuxième voyage d’Italie, de 1649 à 1651, il occupe cette fois une fonction plus administrative qu’artistique. L’objectif du séjour est d’enrichir la collection royale de tableaux italiens. Le peintre a néanmoins l’occasion d’être accueilli avec respect à la cour pontificale et de réaliser un portrait du pape Innocent X.
Un autre signe de sa fonction de courtisan est la place occupée par Velasquez dans la suite royale : hors ses voyages d’Italie, Velasquez ne quitte la capitale que pour suivre le roi lors de ses propres voyages. On peut noter le séjour en Aragon, en 1644, et celui de 1660, pour le mariage de l’infante Marie-Thérèse.
Tout au long de sa carrière, Velasquez poursuit la volonté de s’affranchir de la condition d’artiste de son époque, et met un point d’honneur à gravir les échelons de la hiérarchie sociale. Il n’hésite pas, dans cette ambition, à sacrifier une part de son temps de travail artistique pour se consacrer à des fonctions administratives.
En 1627, il devient « ujer de camara » (huissier de chambre), puis délègue sa charge en 1634 pour devenir, deux ans plus tard, « ayuda de guardaroppa » (aide de garde-robe). Cette fonction le charge notamment de la décoration des appartements royaux. Velasquez élargit ainsi son champ d’activité : il est non seulement peintre, mais décorateur, et responsable de l’enrichissement des collections royales.
Il accepte de prendre une charge des grands travaux de construction ou de décoration des palais royaux, notamment de l’Alcazar, où il intervient dès 1642 dans la direction de la décoration du salon des miroirs. Il est aussi engagé dans des travaux d’architecture, obtenant en 1643 le titre d’assistant des « Obras reales », qui recouvre la charge de l’architecture et du décor intérieur. La même année, il est nommé « ayuda de camara », poste très prestigieux dont il ne prend l’exercice que trois ans plus tard.
En 1652, il devient « aposentador mayor de palacio », l’un des titres les plus prestigieux de la cour, qui correspond à l’équivalent français de grand maréchal du Palais.
Enfin, en 1659, un an avant sa mort, Velasquez obtient la reconnaissance d’être nommé chevalier de l’ordre de Santiago. Cet ordre militaire et religieux, des plus honorifiques, créé vers 1160, est reconnu par le pape lui-même. La requête de Velasquez fait donc l’objet d’une enquête préalable, afin de s’assurer de la noblesse du personnage. Philippe IV accorde à son protégé la hidalgua, la noblesse espagnole, pour mettre fin aux débats et garantir à Velasquez l’obtention du titre. Celui-ci parachève la progression sociale accomplie par Velasquez, sous la protection du souverain espagnol, grand mécène à défaut d’être un grand prince. En effet, sa politique d’enrichissement de ses collections artistiques et de ses palais et résidences vise sans doute à enrayer les signes du déclin de la puissance espagnole. Le deuxième voyage d’Italie de Velasquez fait suite, par exemple, aux deux morts successives de la reine d’Espagne Elisabeth de France et du duc d’Olivarès, déjà décrédibilisé par des contestations répétées de sa politique d’unification des régions espagnoles.
Ainsi, le parcours de Velasquez, on l’a vu, est celui d’un homme obsédé par la conquête du double prestige artistique et social. Ses deux étiquettes sont indissociables l’une de l’autre, et il est difficile de déterminer laquelle de ses fonctions servit mieux l’autre. Elles se complètent sans doute, bien que l’accès à des charges importantes et chronophages était aussi une contrainte pour la pratique de la peinture. L’on sait néanmoins que Velasquez avait de nombreux assistants qui lui permettaient de consacrer un temps précieux à la peinture. C’est d’abord son talent artistique qui valut au peintre son entrée à la cour et son lien presque intime avec le roi d’Espagne. Cette place privilégiée lui permit d’avoir accès aux collections royales, et d’effectuer des séjours d’une grande richesse esthétique en Italie : la pratique artistique était donc bien servie par sa présence à la cour de Madrid. Et pourtant, Velasquez ne se contentât pas d’être un artiste de cour : il fut un grand seigneur, à la carrière couronnée par son obtention de l’hidalgua, attribuée par le prince régnant lui-même, et qu’il n’aurait sans doute pas briguée sans la protection que son talent lui assurait, malgré des jalousies et des querelles de cour.
---------------------------------------------------------------
Annexes :
Portrait de Philippe IV, peint en 1623 et retouché en 1628. Conservé au musée du Prado à Madrid.
[pic 1][pic 2]
---------------------------------------------------------------
Portrait de Gaspar de Guzman, comte-duc d’Olivarès, à cheval, 1638. Conservé au musée du Prado, à Madrid.
[pic 3][pic 4]
Portraits du prince Baltasar Carlos, à cheval et en chasseur (1634-1635 et 1635-1636).
...