Cass, 24 septembre 2009
Par Stella0400 • 31 Août 2017 • 2 303 Mots (10 Pages) • 577 Vues
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Sur l‘action récursoire, les juges du fond devront résoudre la question du partage de la responsabilité entre les deux laboratoires. On devrait aboutir à un partage par moitié du poids de la réparation. Toutefois, compte tenu de la répartition inégale du marché de la DES entre les deux responsables, 90 % pour l‘un et 10 % pour l‘autre, il serait sans doute plus équitable de calculer la part de chacun sur cette base, laquelle représente la part de probabilité du rattachement causal de chacun au produit administré aux victimes, à l’image des Etats-Unis. Certes, le revirement opéré constitue une importante avancée en matière d‘indemnisation des victimes du DES. Il possède toutefois une portée limitée compte tenu de la restriction posée par le premier arrêt du 24 septembre 2009.
- Un inversement de la charge de la preuve à la portée restreinte
- Une condition préalable au lien de rattachement du produit à un laboratoire : l’exposition in utero au DES
Les actions des femmes qui se prétendent victimes du DES ne déboucheront sur une réparation qu‘à la condition, préalable à tout débat sur le lien de rattachement du produit à un laboratoire, que soit établie leur exposition in utero au DES. Plus précisément, la demanderesse doit prouver cumulativement qu‘elle a été exposée à la molécule DES, sous la forme de celle fabriquée par l‘un au moins des laboratoires en cause, et que cette molécule est à l‘origine de son dommage, à savoir sa pathologie. Cette règle est évidemment d‘une rigueur redoutable pour les demandeurs en réparation, lorsque le fait dommageable est ancien, car il devient alors difficile de retracer leur parcours médical. Elle apparaît toutefois fondée, dans la mesure où la réparation suppose nécessairement, en amont, la démonstration d‘une exposition de la victime aux risques du produit, laquelle semble devoir incomber à celui qui l‘invoque. Cette preuve demeure nécessaire, même si elle n‘est pas suffisante. En effet, il faut, en aval, que la molécule DES puisse être rattachée au laboratoire mis en cause. Comme en matière de vaccination contre l‘hépatite B, le sort de ces actions est donc largement dépendant du pouvoir souverain des juges du fond d‘apprécier la portée et la valeur des éléments de preuve qui leur sont soumis. Ce pouvoir est lui-même fortement influencé par les conclusions des experts, qui le sont par les nouveaux acquis de la science.
Avant comme après ces deux arrêts rendus le 24 septembre 2009, les victimes se heurteront toujours à la difficulté d‘établir l‘intervention causale du produit de santé défectueux dans la survenance de leur dommage. Ils n‘apportent, sur ce point, aucune innovation, se contentant de faciliter la tâche probatoire de la victime dans une circonstance de fait finalement assez singulière.
- Entre causalité alternative et causalité cumulative, vers une disparition du lien de causalité
Dans une étude doctrinale récente, Christophe Quezel-Ambrunaz, s'interrogeant sur les explications susceptibles de justifier ce qu'il nomme la causalité alternative a tenté de montrer qu'elle ne se légitimait ni par l'idée d'activité en commun ni par celle de présomption de causalité, mais par une fiction « puisqu'on retient une responsabilité de chacun alors qu'il est établi que certains ne sont pour rien dans la genèse du préjudice ». Mais outre le fait que, normalement, les fictions sont du monopole de la loi, cela reviendrait à reconnaître une sorte de « fiction réfragable » puisque ne jouant que tant que le responsable virtuel n'aura pas établi son absence « d'implication » dans le dommage. On conviendra par ailleurs que l'expression de « causalité alternative » ne traduit pas exactement l'hypothèse qui se présente à nous dans la mesure où les victimes bénéficient concomitamment de plusieurs liens de causalité présumés, si bien qu'on est plus proche d'une sorte de « causalité cumulative », même si, dans un deuxième temps, ceux qui sont recherchés en réparation peuvent tenter d'établir qu'ils ne sont pas à l'origine du dommage. Commentant cet arrêt, le Professeur Olivier Gout estime que l'on ne peut retenir la notion de « causalité alternative » ni la notion de « causalité cumulative » puisqu'il existe dans le cadre de ce qu'il appelle une « fiction réfragable » un « responsable virtuel » qui n'a joué aucun rôle et qui est autorisé à établir son absence d'implication. C'est la raison pour laquelle il estime que « cette dispense de preuve de l'imputabilité du dommage à tel ou tel établissement n'allant assurément pas de soi, on admettra que le fondement assigné à ces situations reste un assouplissement fondé sur l'équité des règles relatives à la charge de la preuve. »
Reste à savoir si la Cour de cassation poursuivra dans cette voie, en faisant progressivement disparaître cet élément de la responsabilité qu‘est le lien de causalité. Une évolution en ce sens ne paraît pas souhaitable. En effet, selon Brun : « responsabilité civile et causalité sont consubstantielles : on ne saurait en effet, dans la logique de l‘institution, obliger une personne à réparer un préjudice dans la réalisation duquel elle n‘aurait pris aucune part ». Faciliter la preuve du lien causal, par le recours aux présomptions abandonnées à la sagesse du juge ou par l‘effet d‘un inversement de la charge de la preuve, paraît opportun lorsque, comme en matière de DES, les circonstances entourant la survenance du dommage placent les victimes dans une situation probatoire complexe. Si on en venait à supprimer l‘exigence de causalité entre le produit de santé et le dommage, notamment en matière de DES, on basculerait à terme vers un système de garantie synonyme de baisse des sommes allouées.
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