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Analyse de la Lettre CXLI, Les liaisons dangereuses

Par   •  14 Mai 2018  •  2 160 Mots (9 Pages)  •  911 Vues

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compterais pour rien tous mes autres triomphes, si jamais je devais avoir auprès de cette femme un rival préféré. ») ; enfin, avec l’annonce qu’il pourra la reprendre, c’est sa personne même qui est niée, et qui devient le simple objet des caprices de l’homme. Tout cela est dit sans aucune périphrase, ni atténuation ; des raisons fausses ou grandiloquentes, guère crédibles, et qui ne veulent pas être crues, sont avancées – « j’ai eu autant d’amour que toi de vertu » ; « ton impitoyable tendresse » ; « la Nature n’a accordé aux hommes… » ; « Ainsi va le monde… » : la lettre veut humilier Mme de T en lui faisant sentir que sentir que son amant a pu la croire assez inconsistante pour admettre cela. Enfin, tout cela est dit avec une familiarité ignoble : « Mon ange », au début et à la fin, où le surnom d’amour est réduit à celui qu’on pourrait donner à une femme facile, qu’on prend, délaisse et reprend comme on veut – pour abîmer le soouvenir de Valmont jusque dans ses tendresses. C’est la seule lettre où Mme de T est tutoyée - ce qui reprend par écrit la familiarité des tête-à-tête amoureux, pour la salir également.

Mais le procédé le plus marquant est la répétition, à la fin de chaque paragraphe, du refrain « Ce n’est pas ma faute ». Ainsi, l’auteur de la lettre ne laisse aucune prise à une réponse : on ne discute qu’avec quelqu’un qui assume ses actes ; on ne discute qu’avec une personne qui réfléchit, pas avec quelqu’un qui répète de façon mécanique une phrase. C’est une manière de dévoiler insolemment le caractère formel et vain des arguments. Non seulement ils sont violents, mais ils sont sans importance, puisque V n’est pas présenté comme responsable de ses actes. D’où l’humiliation, pour Mme de T, de s’être donnée à un homme qui à la fois nie tout ce qu’elle est, à la fois, apparaît devant elle, délibérément, comme sans consistance. Ainsi est parachevée la mauvaise foi dans cette lettre.

Conclusion partielle : Mme de Tourvel, pour laquelle Mme de Merteuil n’a pas plus de considération que dans le reste du roman, est donc humiliée au plus profond par cette lettre, qui nie tout ce qu’elle est, et tout ce que Valmont est pour elle.

III. Valmont, un amant aveugle et manipulé :

Valmont est supposé s’identifier au héros de cette histoire : « Un homme de ma connaissance s’était empêtré, comme vous … » Surtout : la lettre est une réponse indirecte à Valmont : l’expression « Ce n’est pas ma faute » qui en fait le cœur est empruntée à Valmont lui-même : L. CXXXVIII, début : « Non, je ne suis pas amoureux, et ce n’est pas ma faute si les circonstances me forcent d’en jouer le rôle. » Valmont s’autorisait ainsi à se comporter comme un amoureux, ce qui blesse M. Elle lui répond en faisant de lui, de l’homme dont « ce n’est pas la faute » un portrait humiliant, qui a pour elle le double avantage de blesser Valmont, et de le mettre dans la posture où il est le plus aisé à manipuler, celui du vaniteux rempli de l’idée de sa réputation.

Le personnage de la lettre est un libertin rempli de contradictions, lucide, mais faible : « Mais quoiqu’il en rougît, il n’avait pas le pouvoir de rompre. » Ce n’est pas exactement l’impression qu’on a de V dans ses lettres, mais c’est ainsi que M feint de comprendre son attitude - pour l’humilier, et suggérant que d’autres pourraient le voir ainsi, le pousser à rompre : cf Lettre CXLV,p. 424-425 : « Vous l’aimiez comme un fou : mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille plutôt que de souffrir une plaisanterie. Où nous conduit pourtant la vanité ! » Le ridicule qu’il risque, et dont le sauve son amie, est bien celui que risque Valmont : « Il avait bien le bon esprit de savoir que, tôt ou tard, cette aventure lui ferait tort. » Cf lettre CXIII, début : « Je crois devoir vous prévenir, Vicomte, qu’on commence à s’occuper de vous à Paris… » Il y a donc dans cette petite histoire un nouvel avertissement.

L’amoureux de la lettre n’est pas Valmont, mais le personnage que Valmont joue devant Mme de Merteuil.. « Je m’ennuie aujourd’hui » ; « quatre mortels mois » - alors qu’au contraire, Valmont n’avait jamais rien goûté de tel. Il l’a trompée, non parce que « ton impitoyable tendresse m’y forçait», mais parce que les femmes avec lesquelles il la trompait (Cécile, Émilie) n’existaient quasiment pas pour lui, et que, par vanité, il n’avait pas changé son mode de vie. Au contraire, la tendresse de Mme de Tourvel le ravit. Si « J’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire… » Au contraire, Mme de T n’est pas devenue une débauchée, et jusque dans la faute, elle continue à se rattacher au système de valeurs qui était le sien (Cf ses lettres à Mme de Rosemonde). C’est justement ce que Valmont voulait (lettre VI) et ce que Mme de Rosemonde comprend très bien (Cf la lettre CXXX ; notamment : « …une foule de vertus peut racheter une faiblesse. »). Et l’amour de Valmont n’a pas cessé – cf la lettre CXLV)

Conclusion partielle : Cette lettre illustre doublement le propos de Mme de Merteuil, un peu plus haut dans la lettre : « « …jamais vous n’êtes ni l’amant ni l’ami d’une femme, mais toujours son tyran ou son esclave. » Ici, Valmont est le tyran de Mme de Tourvel, et l’esclave de Mme de Merteuil ; plus tard, lorsqu’il voudra la forcer à céder, il changera de position, et tentera à nouveau de devenir le tyran de Mme de Merteuil.

CONCLUSION :

Cette lettre constitue l’avant-dernière étape dans la montée de la tension entre Valmont et Mme de Merteuil, et l’événement décisif, qui amènera à la guerre entre eux.

L’anecdote contée, légère apparemment, s’attache à un seul des traits de caractère de Valmont, sa vanité. Or, c’est justement celui-là qu’il met en avant face à Mme de Merteuil ; c’est ce qu’il veut faire valoir dans le monde de sa personnalité contradictoire (libertin, et amoureux) ; là est la faille par où il peut être manipulée.

La lettre de Mme de Merteuil réécrit toute l’intrigue de Valmont avec Mme de Tourvel, afin de la présenter sous le jour favorable à la manipulation qu’elle tente, et en même temps, à blesser mortellement Mme de Tourvel. Elle méconnaît complètement qui est Mme de Tourvel, et partiellement, qui est Valmont.

L’effet

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