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Des cannibales , Montaigne.

Par   •  9 Juillet 2018  •  1 794 Mots (8 Pages)  •  818 Vues

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Enfin, Montaigne précise bien que le cannibalisme n’a pas une fonction alimentaire (« ce n’est pas […] pour s’en nourrir ») mais de vengeance collective envers l’ennemi.

- Une justification du cannibalisme

Montaigne cherche à mettre son lecteur du point de vue des Cannibales, afin qu’il comprenne leurs actions.

Les « sauvages » ne consomment pas de la chair humaine sans raison, ou simplement pour se sustenter comme s’ils étaient des animaux ; au contraire, ils donnent à l’acte de cannibalisme une signification symbolique : la « très grande vengeance ».

C’est également une action sociale, accomplie en présence d’une assemblée spécialement convoquée et qui prend des allures de rituel : c’est une cérémonie codifiée et collective, ce qui prouve un certain degré de civilisation des Cannibales.

Montaigne nous décrit la mort et la consommation d’un prisonnier d’une manière qui laisse entendre que c’est toujours ainsi que les choses se passent.

Le prisonnier est gardé captif « longtemps », puis les connaissances sont convoquées, le prisonnier meurt toujours de la même façon (un bras attaché à son « maître », l’autre « au plus cher [des] amis » du maître, puis assommé), il est rôti puis on le mange en gardant des morceaux pour les absents.

Enfin, Montaigne cherche à banaliser le cannibalisme en rappelant que les sauvages ne sont pas les seuls à s’y être adonnés, mais que les Grecs et « nos ancêtres » l’ont également pratiqué.

Le fait de manger de la chair humaine n’est donc pas condamnable.

Transition : En informant ses lecteurs sur les coutumes des cannibales, Montaigne ne se contente pas de justifier leurs actions en temps de guerre : il en profite pour critiquer les agissements des Portugais (et des Européens en général) lors de la colonisation du Nouveau Monde.

- Une critique de la civilisation européenne

- Civilisation et cruauté :

Montaigne différencie nettement deux choses : le cannibalisme, présenté comme un rituel et non comme un acte condamnable, et la mise à mort cruelle des prisonniers.

C’est ce deuxième acte qu’il condamne avec force, et c’est là que sa réflexion va à l’encontre des préjugés de l’époque : ce ne sont pas les sauvages qui tuent avec barbarie, mais bien les Portugais (et les Européens en général, comme le montre l’emploi du pronom pluriel de la première personne : « nous »).

Les Européens prétendument civilisés sont ainsi qualifiés de « hommes qui [ont] semé la connaissance de beaucoup de vices dans leur voisinage et qui [sont] beaucoup plus grands maîtres [que les sauvages] en toute sorte de méchanceté».

Ce sont eux qui corrompent les « sauvages », puisque ces derniers les imitent et ce faisant, deviennent plus cruels …

Selon Montaigne, les « fautes habituelles » des Européens sont d’ailleurs « la trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté » : cette accumulation de vices contraste avec l’absence de jugement dans la description des mœurs des Cannibales.

- Des references à l’actualité :

En parlant sans ambiguïté des Portugais, Montaigne fait référence à la colonisation du Brésil, qui était alors en cours.

En dévoilant la manière dont ils mènent leurs exécutions, en provoquant le dégoût, Montaigne cherche à provoquer l’indignation de son lecteur.

Il insiste sur le fait que les exactions des Portugais ne sont pas seulement des faits passés mais bien des réalités du présent : « nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche date ».

Cependant, par l’emploi du « nous », il en appelle à la responsabilité de tous les Européens : loin de ne condamner que les Portugais, c’est toute la civilisation qu’il remet en cause en comparant ses « vices » (trahison, déloyauté, etc.) aux coutumes des sauvages (courageux, partageur, respectueux des prisonniers).

Sa condamnation est dans appel : ces hommes ne sont pas des barbares si on les compare aux Européens, « qui les surpass[ent] en toute sorte de barbarie ».

- Une critique des guerres de religion

Cette condamnation des Européens permet également à Montaigne d’évoquer les guerres de religion, autre fait d’actualité.

En effet, depuis 1562, la France est plongée dans une guerre qui oppose catholiques et protestants et qui durera jusqu’à la fin du siècle.

Montaigne a participé activement à la vie politique comme maire de Bordeaux et médiateur entre catholiques et protestants, et condamne ainsi les méfaits commis au nom de la religion (« sous prétexte de piété et de religion ») pour en avoir été témoin.

De même, alors que les sauvages vont faire la guerre « contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes, plus loin sur la terre ferme », Montaigne déplore que les Européens se battent les uns contre les autres, « entre des voisins et des concitoyens ».

Conclusion :

Montaigne est bien un humaniste. Ce texte le montre à plusieurs égards : ouverture sur l’autre, esprit de tolérance, refus des préjugés.

Renversant les valeurs de son époque, il juge sévèrement ses contemporains européens qui condamnent un peuple sans essayer de le comprendre et qu’ils qualifient de « barbares » uniquement parce que leurs coutumes sont différentes.

Ce faisant, il met en évidence les défauts et les vices engendrés par la civilisation en les contrastant avec les mœurs des hommes du Nouveau Monde.

L’idée que les progrès de la civilisation sont en réalité des méfaits sert de fondement au mythe du « bon sauvage », qui sera repris bien plus tard, au XVIIIème siècle, par exemple par Rousseau dans son

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