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LA REGLE DE DROIT CAS

Par   •  9 Mai 2018  •  17 769 Mots (72 Pages)  •  652 Vues

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3. Anachronique ? Curieusement, la Bible a été pour mon enseignement une source de richesses à cause des difficultés qu'elle m'a données. Pas tellement parce qu'elle paraît anachronique, sans relations avec les préoccupations de notre temps. Il est évident, par exemple, que le commencement de la Genèse, racontant la création du monde, n'a rien à voir avec la réalité historique ou scientifique ; mais il a une signification cachée - mystique - encore actuelle. Par exemple, après chaque jour de la création, la Genèse scande : « Et Dieu vit que cela était bon » : l'amour du créateur pour la créature, l'affirmation de la bonté et de la beauté de la vie est réaffirmée sept fois, bien que la création n'ait duré que six jours : une surabondance d'allégresse. Cette répétition n'est pas seulement un admirable effet d'art comparable aux pratiques courantes de la musique et de la poésie : elle fait sortir le texte du temps et de l'histoire.

Cet optimisme ne s'étend pas au droit. La Bible sait que le droit des hommes est souvent injuste : Yahveh dit, selon le prophète Ezéchiel : « j'allai jusqu'à leur donner des lois qui n'étaient pas bonnes ». Le monde est bon et beau, pas toujours ses lois.

4. Parole de Dieu, droit positif et liberté. Plus difficile à surmonter a été la différence entre les deux ordres, celui du droit tel que la Bible le conçoit et celui du droit positif régissant notre société. La Bible, c'est la parole de Dieu ; son objet et sa raison d'être, c'est l'avenir de l'homme tel que le souhaitent Dieu et son alliance avec l'humanité ; aussi, son caractère normatif n'en est il pas l'essentiel. L'essentiel, c'est le sens que la Bible donne à la vie.

Au contraire, notre droit positif est avant tout humain, laïque, temporel, ignorant la transcendance et sans sujétion à quelque pouvoir religieux que ce soit ; ni le roi, ni le peuple, ni aucun souverain temporel ne sont Dieu ; c'est un droit avant tout normatif, ayant donc pour objet essentiel d'imposer des normes, même s'il a des fondements rationnels et humanistes ; son humanisme ne suffit pas pour constituer une norme ; l'essentiel pour notre droit, c'est la norme ; pour la Bible, c'est le salut des hommes par la parole de Dieu.

La Bible, parole de Dieu, et le droit positif, règle temporelle, relèvent de deux ordres différents. Comme l'évoquait Saint Augustin avec les deux cités, la cité terrestre et la cité céleste : « Deux amours ont fait deux cités : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité céleste ». Ce que plus tard reprendra Luther avec la doctrine des deux royaumes : seule l'Eglise est soumise à l'Evangile et pratique la liberté chrétienne ; la société civile doit, au contraire, être régie par un pouvoir fort qui fait régner la loi civile. Aujourd'hui on les oppose moins, en soulignant leurs liens, notamment avec la liberté. Le monde biblique, le christianisme et le droit positif ont ceci de commun qu'ils recherchent tous trois la liberté. La parole de Dieu libère dans l'Ancien Testament : elle a permis aux juifs d'échapper à la servitude égyptienne, la grande révolte libératrice qui a marqué le peuple juif pour toujours. La libération évangélique est encore plus affirmée dans le Nouveau Testament. Réfléchissant sur la destinée contemporaine de la doctrine luthérienne des deux royaumes, M. Carbonnier « abandonne l'Etat avec son droit aux risques et périls d'une liberté humaine » ; le vrai droit c'est en effet celui qui libère, laissant l'individu responsable de ses actes, courant les risques et périls de la liberté et en en prenant les profits. Droit et liberté, risques et profits sont indissociables.

5. Plan. Les difficultés principales que j'ai trouvées - ai-je besoin de dire que je ne suis pas théologien ? - ont tenu à trois raisons. D'abord, la complication et les contradictions que connaît la compréhension du droit dans la Bible. La conception biblique du droit paraît en effet si complexe qu'elle n'est pas toujours intelligible ; pourtant, elle est au moins dans ses fondements, plus simple que ne l'est en apparence notre droit positif ; cette simplicité est à la fois hors du temps et dans l'histoire. Ensuite, la notion biblique du droit est remplie de contradictions qui existent aussi dans notre société et dans notre droit positif ; la conscience qu'en a la Bible, notamment dans le Livre de Job, permet de mieux comprendre les angoisses de notre temps et d'y trouver une réponse.

Ce qui mène à envisager les relations du droit tel que la Bible le conçoit avec le cours des histoires nationales et leurs particularismes. Le droit, tel que le conçoit la Bible, est-il lié à une conjoncture historique et destinée à un peuple déterminé, ou constitue-t-il un droit éternel et universel ? C'est aussi la même question que l'on se pose pour notre droit national, avec une moindre acuité et à un degré en dessous. Est-il stable ou instable (il n'est évidemment pas intemporel), lié à notre identité nationale ou l'expression de règles plus ou moins universelles ? La réponse n'est pas simple : elle dépend de l'histoire ; notre conception du droit n'a pas été la même dans l'ancien régime, dans le code civil et maintenant, au commencement du XXIe siècle.

Je me demanderai successivement si la conception du droit dans la Bible est complexe (I), contradictoire (II) et dans le temps ou hors de l'histoire (III).

I. - UN DROIT COMPLEXE

6. Polysémie biblique de la loi. Les notions de droit, de loi, de justice, de commandement, d'enseignement, de décision, ou de directive sont constamment utilisées dans la Bible, mais avec une grande polysémie et un sens différent de celui que leur donne notre langue juridique, plus marquée par le droit romain et nos coutumes occidentales que par la Bible, même dans ses aspects juridiques. Au moins pour deux raisons.

a) D'abord, parce que les notions de droit subjectif et de procès, bases de notre système et de notre pensée juridiques, sont étrangères à la Bible : l'homme n'a pas de droits contre Dieu ; il ne peut plaider contre lui ; s'il invoque ses droits, il sera battu. Dieu le dit carrément à Job : « Veux-tu vraiment casser mon jugement//me condamner pour assumer ton droit ? ». Les exemples sont nombreux dans les livres de Josué

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