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La nature fait-elle bien les choses?

Par   •  20 Novembre 2018  •  2 353 Mots (10 Pages)  •  1 789 Vues

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Ces deux conceptions permettent de comprendre le sens du bien de notre question de deux manières différentes. Le finalisme, parce qu’il pense la nature comme un être ayant une intention et une intelligence guidant cette intention, comprend le bien en terme de valeur morale, c'est-à-dire que le bien a pour lui le sens de ce qui est le meilleur. Alors que le mécanisme, puisqu’il ne voit dans la nature qu’une suite de conséquences matérielles nécessaires, ne peut envisager (à la limite) le terme de bien que dans le sens de l’efficacité, c'est-à-dire qu’est bien ce qui réussi.

Or, ces deux conceptions ont chacune leur propre limite.

La limite de la compréhension finaliste qui pense la production naturelle comme bonne apparaît lorsque lui est posée la question de l’existence du mal. En effet, comment expliquer les catastrophes naturelles ou bien les maladies ou la mort prématurée d’enfant, c'est-à-dire tout ce qui, relevant de la nature, est détruit par la nature sans raison. Le finaliste pourra répondre ou bien que la nature existante est la meilleure possible compte tenu des moyens disponibles, ou bien qu’il y a une raison mais que nous ne pouvons la comprendre parce que nous ne pouvons connaître l’ensemble de ce qui arrive, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Ainsi, ce que nous considérons comme un mal ne l’est pas pour la nature qui voit plus loin que nous. Mais cette réponse revient à faire de l’ignorance un argument et ne peut convaincre que ceux qui sont déjà convaincus de la bonté de la nature car il n’est ici rien dit d’autre que : tout est bien dans la nature (les phénomènes) puisque la nature (comme être un) est bonne. Pensée qui ne sert peut-être à rien d’autre qu’à interdire de penser une nature intrinsèquement méchante, ce qui serait le scandale majeur de la pensée. Nous y reviendrons.

La limite de la compréhension mécaniste est différente puisqu’elle refuse de penser une nature choisissant des fins et donc responsable parce qu’intentionnelle. En fait, c’est en cela que tient sa limite pour nous. Car, si elle ne nous confronte pas à une nature bonne ou méchante, elle nous confronte cependant à une nature absolument indifférente, c'est-à-dire non pas qui ne s’intéresse pas aux êtres, mais qui ne peut pas s’y intéresser ni faire quelque différence que ce soit entre eux. Ainsi par exemple, le cancer qui emporte un enfant ne peut être imputé à une volonté qui lui donnerait tout de même encore un sens, aussi douloureux soit-il. Le cancer n’est qu’un phénomène explicable par la chimie organique et qui ne traduit aucune intention supérieure. En fait, dans cette perspective, rien n’est fait pour servir à quelque chose, mais tout arrive selon des causes antérieures nécessaires qui ne peuvent que se produire, étant donné l’état antérieur de la matière. Ici, tout est bien dans la nature puisque tout arrive nécessairement, c'est-à-dire tout réussi de ce qui doit arriver. Mais cette nécessité n’est pas celle d’un ordre ayant un sens, c’est pourquoi cette nécessité devient au fond pour nous l’expression du hasard le plus aveugle.

Ainsi, si le finalisme et le mécanisme proposent deux conceptions extrêmement différentes du bien dans la nature, tous deux ne nous donnent de ce bien qu’une idée incompréhensible ou, plutôt, qui nous renvoie à l’incompréhensible – ce qui dans la religion chrétienne est nommé mystère. En effet, le finalisme ne surmonte la contradiction de l’existence du mal qu’en faisant appel à un plan général de la nature qui est au-delà de notre capacité de comprendre. Et le mécanisme, d’une manière différente, nous confronte à l’idée d’une activité sans but, sans fin et donc sans bien à venir ou attendre. Dès lors, nous devons nous demander pourquoi nous cherchons pourtant une idée du bien dans la nature ? Qu’est-ce qui nous amène à nous demander si la nature fait bien les choses ?

Peut-être pourrons nous en rendre compte en remarquant que les hommes sont face à la nature à la fois comme le lieu où leurs actions ont à se dérouler et comme un exemple d’ordre auquel ils se sentent rattachés. Ces deux approches sont différentes en ce que dans la première nous attendons de la nature qu’elle favorise nos projets, alors que dans la seconde nous attendons de la nature qu’elle nous donne un modèle pour penser ce que nous devons faire. Dans le premier cas la nature fera d’autant mieux les choses qu’elle permettra la réalisation de ce que nous considérons comme bien (individuellement ou collectivement). C’est, dans ce cas, à partir de notre projet que ce qui arrive naturellement trouve un sens, se présente comme ayant une intention bonne (favorable) ou mauvaise (défavorable). Dans le second cas, on veut trouver dans l’ordre naturel un modèle du bien. Mais ce modèle n’est pas univoque, il n’est pas compréhensible comme nous l’avons vu précédemment. Dès lors cette attente se traduit le plus souvent par une interprétation qui trouve dans la nature ce qu’elle veut y trouver. La nature sert alors à légitimer un ordre humain, c'est-à-dire produit par les hommes, en le faisant passer pour une volonté naturelle. En ce sens, cette manière d’appréhender la nature peut rejoindre la seconde par une attitude superstitieuse qui verra dans ce qui arrive des signes d’approbations ou de désapprobations.

Dans les deux cas, lorsque nous attendons de la nature un sens du bien pour nous, nous ne faisons que projeter sur elle le sens qui nous arrange, ou qui arrange ceux qui dominent à tel moment dans une communauté. Cela revient à vouloir naturaliser ce qui relève de la rationalité humaine, c'est-à-dire de sa capacité à décider et concevoir un bien.

Pour autant, il ne s’agit pas de négliger la nature puisqu’il reste vrai que c’est en elle que nos actions se déroulent. Mais cette nature est modifiée par nos actions et ce n’est donc plus à elle immédiatement que nous avons affaire. Finalement la nature n’est pour nous que ce qui s’oppose à notre volonté de produire et de changer ce qui nous est donné. Ce qui indique aussi que pour nous, quoiqu’on en dise, la nature ne fait pas bien les choses puisque nous ne cessons de la transformer. Mais, si nous ne pouvons chercher dans la nature un bien qui serait pour nous un modèle, il reste qu’elle se présente comme une nécessité : celle de notre condition. Nous pourrons penser que dès lors elle est pour nous une limite à notre emprise technique puisqu’elle ne saurait être modifiée sans danger pour nous. Mais nous ne pouvons dire pour autant que la nature se venge puisqu’elle

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