L'émergence du principe général de responsabilité du fait des choses
Par Ramy • 15 Mars 2018 • 7 988 Mots (32 Pages) • 750 Vues
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La notion a dû être définie. L’arrêt Franck, du 2 décembre 1941, a posé les trois critères qui, réunis, font la garde d’une chose : l’usage, le contrôle, la direction. Est gardien de la chose celui qui a ces trois pouvoirs sur la chose.
Le gardien n’est donc pas le propriétaire. Il peut l’être ; il peut ne pas l’être. Il l’est sans doute le plus souvent dans les faits. D’où une nouvelle présomption – simple cette fois : le propriétaire est présumé gardien. Il devra établir qu’il a transféré la garde de la chose à un tiers, c’est-à-dire prouver qu’un autre que lui avait, au moment de la réalisation du dommage, les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose. Ces trois pouvoirs sont donc des pouvoirs de fait et non des pouvoirs de droit sur la chose.
Document 2 : Ch. réunies, 2 décembre 1941, arrêt Franck (garde = usage, direction et contrôle)
- Faits : En 1929, le véhicule qu'un médecin avait confiée à son fils mineur est volé par un individu demeuré inconnu. Au cours de la nuit, le voleur renverse et blesse mortellement un facteur.
- Procédure : Les ayants-droit de la victime assigne le médecin en réparation du préjudice subi par eux du fait de la mort de leur proche en se fondant sur l'article 1384 alinéa 1er du Code civil. La Cour d'appel rejette cette demande au motif qu'au moment où l'accident s'est produit, le fils du médecin était dépossédé du véhicule par l'effet du vol, et qu'il se trouvait alors dans l'impossibilité d'exercer sur la voiture aucun surveillance. Les ayants-droits de la victime se pourvoient en cassation.
- Question de droit : Le propriétaire d'un véhicule demeure-t-il le gardien en cas de prêt ou de vol de ce véhicule ? // Le propriétaire d'une voiture, objet du dommage subi par la victime, peut-il échapper à la présomption de responsabilité de l'article 1384 alinéa 1 du Code civil en apportant la preuve qu'il se trouvait dans l'impossibilité d'exercer une quelconque surveillance sur cette chose ?
- Solution de la Cour de cassation : La Cour de cassation rejette le pourvoi de la victime en considérant que le propriétaire de la voiture n'était plus le gardien de la chose au moment du dommage. Elle considère que le médecin, privé de l'usage, de la direction et du contrôle de sa voiture, n'en avait plus la garde et n'était plus dès lors soumis à la présomption de responsabilité édictée par l'article 1384 alinéa 1er du Code civil.
Commentaire :
Deux conceptions de la garde :
- garde juridique : pouvoir de droit ;
- garde matérielle : pouvoir de fait ;
La présomption de l'article 1384 alinéa 1er pèse sur le propriétaire en vertu de la théorie du risque profit, c'est la garde juridique. Cet arrêt consacre la conception de la garde matérielle. Cette solution n'est pas cohérente avec la théorie du risque : en consacrant la garde matérielle, le propriétaire peut renverser la présomption simple en prouvant que ce n'est pas lui qui avait les pouvoirs d'usage, de direction (finalité de la chose, manière dont elle est utilisée) et de contrôle sur la chose (éviter que la chose soit utilisée de manière anormale). La garde matérielle réintroduit donc quelque part l'idée de faute, on condamne celui qui a commis la faute. Le problème, c'est que si le voleur n'est pas identifié, la vicitme ne peut pas être indemnisée..
L’arrêt est presque aussi connu – ou doit l’être – que l’arrêt Jand’heur.
Document 3 : Civ. 2ème, 19 juin 2003
- Faits : Le 16 avril 1998, un homme tond la pelouse d'un autre homme et se blesse aux doigts en voulant dégager de l’herbe coincée sous la lame de la tondeuse appartenant à ce dernier. La victime a alors assigné le propriétaire de la tondeuse en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 1384 du Code civil.
- Procédure : Dans un arrêt du 14 septembre 2001, la Cour d'appel d'Amiens déclare le propriétaire de la tondeuse responsable et le condamne à indemniser l'intégralité du préjudice subi par la victime. La Cour considère que la victime n'était pas le gardien de la tondeuse au moment du dommage car aucun lien de subordination n'existait entre elle et le propriétaire de l'objet, qui en demeurait le gardien. Un pourvoi en cassation alors formé par le propriétaire.
- Question de droit : Le propriétaire qui prête à un tiers un objet pour une courte période et dans son intérêt transfère-t-il la garde de la chose à cette personne, la rendant responsable en cas de dommage eau sens de l'article 1384 alinéa 1 ? // Le propriétaire d'une tondeuse reste-t-il gardien de celle-ci lorsqu'il la confie à une autre personne afin qu'il en fasse un usage déterminé ?
- Solution de la Cour de cassation : La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle estime que l’arrêt, après avoir énoncé que le propriétaire d’une chose est réputé en avoir la garde, bien que la confiant à un tiers, ne cesse d’en être responsable que s’il est établi que ce tiers a reçu corrélativement les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose. Concrètement, elle retient que le propriétaire n’avait confié sa tondeuse à la victime que pour un court laps de temps et pour un usage déterminé dans son propre intérêt, et qu'elle n’avait pas été autorisé à se servir de la tondeuse pour son usage personnel, ni à la sortir de la propriété ; ainsi qu'aucun lien de subordination n'était établi. Enfin, elle estime que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que le propriétaire était demeuré gardien de la tondeuse.
Commentaire :
La Cour considère que le propriétaire est resté gardien de la chose. Quand il y a dépossession involontaire (Franck), on admet la garde matérielle. En revanche, en cas de dépossession volontaire, la question se complique. D'abord, en cas de dépossession volontaire, dans le cas particulier d'une assistance bénévole, le propriétaire reste gardien de la chose, il y a obstacle au transfert de garde systématiquement lorsque l'assistant obéit à des directives de l'assisté. De nombreux arrêt ont refusé le
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