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Histoire du Droit: Rome, ou la maturation du droit

Par   •  11 Septembre 2018  •  26 704 Mots (107 Pages)  •  580 Vues

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Face à ces débordements excessifs qui menacent de ruiner Rome, les penseurs latins cherchent à ériger des garde-fous, des barrières qui empêchent, ou du moins limitent les effets de cet enivrement collectif de puissance et de jouissance. D’abord ils rappellent comme un leitmotiv les débuts héroïques de la Rome archaïque, toujours sauvée par le dévouement de ses citoyens-paysans, alors endurcis par leur frugalité et leur simplicité. Ces hauts faits idéalisés doivent créer parmi les meilleurs une haute conscience de la destinée historique de Rome qui transcende les individus et leurs petits intérêts terre à terre. Certes Rome se transforme nécessairement dans la métamorphose d’une bourgade italique devenue la capitale incomparable (l’ « Urbs ») du plus prodigieux empire jamais constitué jusque là. Mais la volonté d’insérer ses mutations au sein d’une tradition supérieure doit permettre de les contrôler, d’empêcher qu’elles dérapent dans un vulgaire matérialisme. En ce sens, l’abnégation tant exaltée des vieux Romains fournit une référence, un modèle, un mythe stimulant pour les Romains de l’époque classique. Célébrant leurs racines rurales, les auteurs latins idéalisent aussi la nature qui empêche les hommes de verser dans les vices artificiels suscités par les grandes villes corruptrices. Là aussi c’est une réaction nostalgique, presque romantique, face à l’urbanisation et au gigantisme qui, de fait, caractérisent la civilisation romaine classique. Ainsi, le poète Virgile exprime-t-il, dans ses Géorgiques et ses Bucoliques idylliques, la sympathie universelle de toutes les formes de vie dans cette nature consolante.

En conséquence, les Romains chercheront toujours à placer leurs actions particulières dans cette continuité historique magnifiée. En ce sens, la mentalité romaine se veut conservatrice, en appelant d’un présent décevant à un passé mythifié. Dans la forme, tous les grands réformateurs se prétendront simplement des rénovateurs des plus anciennes, donc des plus légitimes traditions nationales (cf. les frères Gracques et Auguste).

Avec cette prégnance des remémorations, la conscience de la romanité sera d’abord une conscience historique donc culturelle. Pourra se dire romain celui dont les aïeux, à un moment donné, ont volontairement rejoint la communauté de destin agrégée progressivement en cercles concentriques de plus en plus vastes autour de Rome. Finalement est romain celui qui reconnaît les valeurs morales et culturelles supérieures, affirmées, précisées, le mieux qu’il soit humainement possible, par la destinée providentielle de Rome. Cela explique la souplesse de la notion de citoyen chez les Romains. Deviendront citoyens ceux qui diront comme Cicéron : « Rome est ma grande patrie où ma petite patrie (son pays natal, une bourgade italienne) est contenue. » c’est-à-dire ceux qui admettront qu’en rentrant dans l’orbite romaine leur pays d’origine s’associe à la mission transcendante de Rome diffusant partout la civilisation. On touche là le « miracle romain » qui a permis si longtemps à cet empire de se maintenir malgré l’extinction graduelle de ses plus anciennes familles véritablement romaines : de nouvelles élites, de plus en plus provinciales, ayant de moins en moins de sang italien, vont progressivement prendre le relais des anciennes oligarchies épuisées, tout en reprenant complètement à leur compte l’histoire sublimée et l’idéal traditionnel caractéristiques de l’homme romain. Des empereurs ayant des origines mélangées, avec des ascendances espagnoles, gauloises, nord-africaines, syriennes, illyriennes… seront de plus en plus les défenseurs de la Romanité, en succédant aux premiers empereurs d’origine proprement romaine puis italienne. (A partir de Dioclétien, les princes énergiques qui redressent l’Empire menacé sont de souche illyrienne, l’Illyrie correspondant à la région côtière de l’ex-Yougoslavie de Tito).

(Beaucoup plus tard, le germain Charlemagne puis les souverains allemands renoueront symboliquement avec cette tradition en se prétendant les successeurs des Césars, chargés à leur tour de protéger la nouvelle civilisation occidentale. Par son couronnement impérial de 800, Charlemagne procède officiellement à la « rénovation » de l’empire romain d’Occident d’où proviendra le saint empire romain germanique, aboli par Napoléon, nouvel empereur mais éphémère).

C’est qu’il y a une mystique de Rome, l’Urbs, la ville par excellence, mère de toute la civilisation urbaine issue de ce monde gréco-latin. Contrairement aux conceptions grecques cette cité exceptionnelle n’est pas constituée seulement par la communauté de ses citoyens. Elle est divinisée et personnalisée (il y a donc une déesse Roma) avec sa fortune (« Fortuna ») merveilleuse qui lui promet depuis Enée, l’ancêtre de Romulus, l’empire du monde.

Mais son ascension historique reste quand même résistible, car les Romains refusent toute notion de fatalisme ou de déterminisme qui enchaînerait passivement les hommes. Les Dieux sont prêts à protéger la cité prodigieuse, mais seulement si les actions de ses citoyens se montrent dignes de cette élection surnaturelle. Dans la conception religieuse des Romains, les Dieux offrent seulement des opportunités, des facilités, que les hommes sont toujours libres de saisir et d’exploiter ou non. (Les fameux présages, réponse des Dieux à des questions précises sinon prosaïques, cherchent seulement à déterminer si le surnaturel favorisera l’action concrète projetée, lorsqu’on peut craindre une hostilité céleste).

Autrement dit, la Fortune de Rome ne peut rien sans la vertu, la fameuse Virtus des principaux Romains. En théorie, c’est aussi la supériorité incomparable de cette Virtus qui donne aux Romains le droit de dominer le monde. Cette complexité du destin romain, cette complémentarité parfois défaillante entre le surnaturel et l’humain expliquent les hauts et les bas connus alternativement par l’histoire romaine. A plusieurs reprises, les vices des citoyens font chanceler Rome, mais des héros, magnifiés par la légende, viennent alors la sauver, en ressuscitant par leur énergie la bravoure des ancêtres. Ainsi, les historiens restent-ils lucides quant aux défauts de la masse. En ce sens, leurs œuvres, et la mentalité qui en découle, sont élitistes : la vertu admirable de quelques individualités exceptionnelles vient contrebalancer les habitudes de relâchement du plus grand nombre. Cette vertu doit donc être d’autant plus rigoureuse que l’on monte sur l’échelle sociale, avec des responsabilités publiques accrues.

La notion-clef de Virtus condense

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