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Fiche de lecture analytique Les yeux des Pauvres, Charles Baudelaire

Par   •  4 Juillet 2018  •  2 084 Mots (9 Pages)  •  2 061 Vues

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1. Premier tableau : un couple au milieu des fastes d’un café 

Le décor de la rencontre – café chic sur un « boulevard » de Paris, endroit de promenade élégante – est décrit avec précision et de façon hyperbolique, apparemment positive.

• La répétition de l’adjectif « neuf » renvoie aux travaux de Paris dont Baudelaire rappelle certains accessoires : « gravois », éclairage au « gaz ». Le tableau s’anime d’une vie trépidante grâce à de nombreux verbes d’action.

• Baudelaire multiplie les notations de lumière et de couleurs, accrues par les « miroirs » qui les reflètent : « le café étincelait », « le gaz […] éclairait », l’obélisque est « bicolore », il y a là « des ors ». Les pluriels soulignent le luxe et la surabondance (« miroirs », « baguettes », « corniches », « carafes », « verres »). Les termes mélioratifs (« glorieusement, splendeurs, déployait ») suggèrent la luxuriance. Dans une longue phrase énumérative, le poète s’attarde sur le foisonnement de la décoration intérieure, tapisseries et peintures, avec ses créatures qui créent une impression de foule bariolée : « pages » et « dames riant au faucon perché sur leur poing » côtoient des figures mythologiques, « nymphes et (des) déesses », « Hébés » et « Ganymèdes ». Cet univers, étourdissant d’objets, de lumières et de mouvements, donne l'image d'une fête excessive et artificielle.

2. Second tableau : le pathétique d’une famille de mendiants

- Sans aucune transition, Baudelaire juxtapose à ce tableau celui d’une famille de trois mendiants. Là, le dessin est ébauché, le « croquis » fait par touches : aucune précision descriptive – à part les « guenilles », seul mot péjoratif – mais des traits de crayon et des gros plans – vecteurs d’émotion – sur des éléments significatifs, comme les « visages fatigués », la « barbe grisonnante », les deux « main[s] » qui se tiennent fort.

- L’économie de détails n’empêche pas le pathétique : la qualification méliorative « brave (homme) », la mention de sa fatigue (en écho à celle de l’amante), le jeune âge des enfants, la périphrase « un petit être trop faible pour marcher » pour désigner un bébé, tout cela suscite l’attendrissement du lecteur comme du poète. Baudelaire est surtout sensible à leurs « yeux » : le mot, employé quatre fois, rythme le portrait, au point que la famille est résumée par une métonymie frappante, « ces six yeux ».

3. Le sens de cette rencontre entre deux mondes

La comparaison du jeu des regards et des paroles rapportées révèle les réactions des êtres et suggère les divers comportements humains.

- Réunis dans une fascination admirative, les pauvres ne disent rien : leurs propos rapportés au styledirect sont la retranscription de leurs pensées par le poète, seul à savoir les interpréter (« les yeux […] disaient »). Ces pensées « traduites » prennent un tour poétique, avec leurs exclamations lyriques répétées : « Que c’est beau ! » L’image de « l’or du pauvre monde, venu se porter sur ces murs » tire sa force de l’antithèse poignante entre « or » et « pauvre », mais aussi du jeu sur le propre et le figuré : elle revivifie les expressions toutes faites « pour tout l’or du monde » et « le pauvre monde ».

- En total contraste, la femme, attentive comme le poète aux « yeux ouverts » des pauvres, ne « communique » pas avec eux. Insensible, elle tient des propos violents : l’expression « ces gens-là », l’adjectif « insupportables » sont chargés de mépris. Ses paroles recourent à une image terre-à-terre : un élément architectural trivial, symbole de richesse, les « portes cochères ». Sa dureté est en totale disharmonie avec ses « yeux [verts] si beaux ». Elle est à l’image du Paris nouveau et du somptueux café : superficielle et matérialiste.

- Le poète se tient en retrait. Il est subjugué par cette famille de pauvres, elle-même émerveillée par le spectacle du café ; « attendri » par leurs « yeux », il ressent de la pitié. Mais il exprime aussi sa « honte », sa mauvaise conscience face à la richesse. Le tableau surchargé et moqueur du café, qui sert de repoussoir à la pauvreté et se clôt sur le nom péjoratif « goinfrerie », repris par l’expression « plus grands que notre soif », exprime la condamnation du luxe tapageur et la « haine » pour les riches insensibles. Dans la scène, le poète ne parle ni aux pauvres, ni à son amante. Tout passe par son regard qui « comprend » les mendiants et interroge sa maîtresse.

III. Une conception du poète et de la poésie

Plus profondément, « Les yeux des pauvres » est une sorte d’art poétique baudelairien.

1. Le poète, un être « rêveur », sensible et voyant

- Le poème décrit indirectement le poète comme un être qui nourrit des « rêves » impossibles – et qui par là est condamné à la désillusion. C'est aussi un être au « cœur » sensible et à « l’âme bonne », qui « sent » plus qu’il ne raisonne, « fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que [lui]-même » (« Les Fenêtres »). Il a pour particularité de voir au-delà des apparences, de percer le secret de l’autre. Ici, derrière l’apparence des êtres, il lit dans les yeux silencieux et sur les visages ce que le commun des mortels ne perçoit pas.

2. La poésie témoigne et « explique » : le poète « traducteur »

« Les yeux des pauvres » révèle une sorte d’art poétique implicite.

- Le poète, à travers son œuvre, témoigne du monde, de ses travers – le luxe inutile, l’insensibilité – et tire de ses expériences vécues les plus anodines des « leçons » sur l’homme, le monde et la vie. Non seulement il comprend, mais il sait et doit « expliquer » ; il est, selon l’expression de Baudelaire lui-même, un « traducteur, un déchiffreur ». La poésie prend alors une fonction didactique, mais sans les lourdeurs de la théorie.

- Le poète a aussi le pouvoir de transformer le monde, voire d’inverser les choses et les valeurs. Il rend les « ors »

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