Lecture analytique, A une passante, Les fleurs du mal, Baudelaire
Par Matt • 16 Octobre 2018 • 2 046 Mots (9 Pages) • 800 Vues
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L’appel à l’éternité (« Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? ») se brise contre l’aspect éphémère de la réalité. L’effet de chute qui vient fermer le sonnet (« Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, / Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! ») est ambivalent : il insiste sur l’échec de la transcendance (le poète reste où il est, la femme disparaît : il ne se passe rien, sinon d’amer), mais il évoque tout de même la possibilité de cette transcendance, de cet idéal. En effet, la femme qui passe avait le pouvoir de sauver le poète puisqu’elle « savait » : « Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » Ce « savoir » est la preuve de sa nature sinon divine, au moins « surhumaine ». L’amour n’est pas un simple coup de foudre, bien sûr, mais l’amour de l’absolu, l’amour de l’idéal.
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Le talent de Baudelaire (et la beauté de ce poème) réside dans l’évocation, en 14 vers seulement, d’un décor urbain précis et d’une anecdote touchante : le poète est frappé par la beauté d’une femme qui passe. Mais il ne s’agit en fait que du prétexte pour évoquer une angoisse profonde, une angoisse métaphysique.
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Une angoisse métaphysique
- Le plaisir et la mort
Le poème se construit sur un jeu de contrastes et d’oppositions qui mettent en lumière cette angoisse profonde.
Opposition entre le chaos de la rue (mouvement) et l’apparition harmonieuse (cette harmonie est rendue par le vers ample, le rythme, le vocabulaire, comme nous l’avons vu).
Opposition entre le poète (déjà poète maudit, « crispé » et « extravagant ») et la femme idéale (« agile » et éternelle).
Enfin, opposition entre l’instant fugitif (« fugitive beauté ») et l’éternité (« Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? ».
Ce jeu d’oppositions se concentre sur le premier hémistiche du premier vers du premier tercet. Nous sommes au milieu du poème, et c’est une rupture : « Un éclair… puis la nuit ! » Cette rupture est à la fois rendue par l’antithèse « éclair » / « nuit », la ponctuation qui joue encore sur la temporalité : les points de suspension (la longueur, l’attente, la tension) puis le point d’exclamation (la rupture, le choc).
Nous retrouvons aussi le thème classique de l’opposition entre Éros et Thanatos, l’amour et la mort. En effet, le poète est pris d’un coup de foudre, mais qui ne le fait songer qu’à la mort : le subjonctif plus-que-parfait, « toi que j’eusse aimé », renvoie à l’amour qui aurait pu avoir lieu entre le poète et la femme, mais plus que la possibilité, il en souligne en fait l’impossibilité, puisque ce n’est que dans « l’éternité » (qui est le propre de la mort) que les deux êtres pourraient se revoir.
Le plaisir de la rencontre tourne donc à une pensée macabre : l’idéal est un idéal avorté.
- Une poésie allégorique
Cette passante est plus qu’une simple anecdote, ou même un motif (un sujet) poétique : c’est une allégorie.
L’allégorie est, on le sait, « une forme de représentation indirecte qui emploie une chose pour un désigner une autre ». Et quelle est l’allégorie de ce poème ? L’allégorie de l’idéal.
La femme représente l’idéal, c’est-à-dire une réalité parfaite mais inaccessible : elle est métamorphosée en statue. Nous avons en effet une métaphore, « sa jambe de statue », qui souligne son inhumanité. Elle survole le chaos de la ville, elle survole la réalité humaine et elle laisse apercevoir l’infini au poète : « Fugitive beauté / Dont le regard m’a fait soudainement renaître, / Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? »
Le thème de la renaissance est proche du thème du salut. Le salut qui n’a pas été possible par l’amour (c’est ce qu’exprime le subjonctif-plus-que-parfait) l’est donc seulement par l’art (la poésie). C’est ce que nous pouvons constater, puisqu’il ne reste de cette rencontre, de l’idée même de la rencontre potentiellement salvatrice, qu’un sonnet.
- Tradition et modernité
Le poème se maintient donc entre une tradition et une modernité qui en fait son charme et son efficacité.
Il faut ici résumer les éléments traditionnels que nous avons rencontrés pendant notre étude.
Il y a d’abord le thème traité : l’amour, la mort, c’est-à-dire Éros et Thanatos, l’inaccessible idéal (thème éminemment romantique).
Il y a ensuite la forme même du poème : c’est un sonnet, forme classique depuis Pétrarque (introduit en France par Marot, et « institutionnalisé » par Ronsard, Du Bellay et les autres poètes de la Pléiade au XVIe siècle) ; le vers est l’alexandrin, vers noble et classique par excellence ; et on retrouve la construction thématique classique entre les deux quatrains (situation) et les deux sonnets (« réflexion »).
De plus les tercets présentent une forme d’effet de chute par cette construction particulière des deux derniers vers : « Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, / Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » Construction très soignée et très complexe :
Avec le chiasme du premier vers, bâti sur les pronoms personnels : A (je : « j’ignore) B (« tu fuis ») ; qui se reflète comme dans un miroir dans le second hémistiche : B (toi : « tu ne sais ») A (« où je vais »).
Avec l’anaphore « Ô toi que/qui » du deuxième vers.
Avec l’opposition des débuts de vers centrés sur le « je », et la fin des vers centrés sur le « tu ».
C’est l’impossible résolution de la distance qui sépare les deux êtres.
C’est sans doute cette impossibilité même (cette condamnation éternelle) qui est « moderne », dans le sens où le sujet a une telle conscience de lui-même qu’il ne peut s’adapter à rien de préconçu (la société, l’amour, l’idéal).
Cette modernité se manifeste dans le décor le plus contemporain qui soit : la ville.
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