Elevation, Baudelaire, Lecture analytique
Par Stella0400 • 28 Septembre 2017 • 2 095 Mots (9 Pages) • 2 599 Vues
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Ce monde supérieur touche au Divin comme le confirme l’adjectif antéposé « divine liqueur » qui évoque en filigrane une autre façon d’atteindre l’Idéal : l’ivresse (voir à ce sujet le poème « Enivrez-vous » dont voici un extrait : Il faut être toujours ivre. /Tout est là : c’est l’unique question. /Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve./
Mais de quoi ?/ De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. /Mais enivrez-vous./ «
Cependant, malgré les tentatives du poètes pour échapper au monde terrestre, et trouver la quintessence du bonheur il reste condamné, par sa nature même d’homme à errer sur terre où » ses ailes de géant l’empêchent de marcher « (citation extraite de l’Albatros » ) --→ oui, vous avez le droit !
II Le monde réel
A La définition de la vie terrestre.
Dans tout le poème, le monde terrestre est évoqué, de façon subtile ou de façon explicite. C’est une façon pour le poète de montrer à quel point cet univers le hante.
En effet il est synonyme d’enfermement comme le confirment les termes « vallées, bois, v 14 « chargent de leur poids »= le pléonasme « chargent de leur poids » renforce l’idée de pesanteur ressentie sur terre et s’oppose d’autant plus à l’aspect aérien de l’ailleurs. Les allitérations en R renforcent cette sensation de lourdeur.
Le monde est également impur comme l’exprime le GN « miasme morbides » dissonant à cause de l’assonance en i et à l’allitération en M associée à la bilabiale B et à la dentale D. Il porte en lui le Mal, la maladie (miasme) et surtout la maladie qui accable le poète « l’ennui » v 13.
Nous remarquons qu’ici les termes « ennuis » et « chagrins » sont accordés au pluriel afin d’insister sur l’immensité des douleurs du poète. L’ampleur de l’alexandrin v 13 renforce cette sensation de souffrance ressentie par le poète.
Le monde terrestre apparait donc ici comme l’exact contraire du monde de l’Idéal.
A la liberté « libre essor » correspond l’emprisonnement ; à l’extase correspondent « les ennuis et les vastes chagrins » ; à la purification correspondent « les miasmes » ; à l’immensité profonde correspond l’immensité des chagrins « vastes chagrins » et à la lumière « champs lumineux et sereins » correspond « l’existence brumeuse », aux déictiques « au dessus et par delà » répond « derrière ».
B) La chute de l’esprit du poète en proie au Spleen
A priori nous pourrions penser que dans ce poème, c’est l’Idéal qui l’emporte tant sa présence est forte. Mais ici il est davantage convié par la matière poétique, par la langue, que véritablement atteint.
Si, un temps, le poète a pu accéder à l’Idéal grâce à la parenthèse de l’écriture poétique sa condition de poète maudit l’a « rattrapé ».
Subtilement B opère un glissement au v 15 entre le « tu » désignant son esprit et le « il » désignant un hypothétique « heureux » qui pourrait accéder à l’Idéal.
Dans les deux derniers quatrains qui constituent une seule phrase construite sur un parallélisme « derrière les ennuis + P sub relative « qui » // celui dont les pensers + prop sub relative « qui plane » , B écrit « heureux celui qui peut » reprenant ainsi en la modernisant la formule de Du Bellay « Heureux qui comme Ulysse » elle-même empruntée aux Evangiles (Matthieu ) = « Les derniers seront les premiers ». Ainsi les derniers sur terre seront les 1* au paradis. Ce qui chez B signifie que les condamnés sur Terre atteindront un jour leur Idéal.
Baudelaire n’était pas un fervent catholique comme put l’être V Hugo mais il s’agissait d’un homme cultivé et ici l’intertextualité est frappante.
Ainsi le V 15 met en exergue l’adjectif « heureux » pour désigner « celui » qui peut « (notez l’hypothèse contenue dans la valeur de ce présent) « s’élancer vers ».
Si le poète a échoué dans sa quête de l’Idéal, il espère cependant qu’un autre que lui parviendra à l’aube d’un jour nouveau « vers les cieux le matin » se libérer du poids du monde « comparaison entre les pensers et les alouettes » »le libre essor » et communier avec la nature, comprendre ses signes secrets « comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes »car Le poète maudit meurt avant que son génie ne soit reconnu à sa juste valeur…
Si le dernier quatrain fait écho indiscutablement au second, nous notons que à « mon esprit ….comme un bon nageur » correspond « celui dont les pensers… comme DES alouettes» ; il est teinté de nostalgie et de regret, le registre lyrique laisse place ici à la tonalité élégiaque.
Le poète a créé le langage des fleurs et a donné vie aux choses muettes mais l’Idéal lui demeure inaccessible.
Ainsi se résume sa tragique condition.
CCL :
Le Poète maudit, entre un Idéal avare de communication et un auditoire sourd, vit dans l’échec ; mais il est souverain dans sa solitude ; il peut dédaigner ce qui, des deux parts, se refuse à lui ; il incarne une aspiration infinie, qui vit d’elle-même.
Si le poème Elévation traduit l’ascension vertigineuse de l’esprit du poète vers l’Idéal grâce au rythme, à la syntaxe et au lexique mélioratif il n’en reste pas moins un poème élégiaque reflétant en demi-teinte (sans doute ce qui le rend encore plus puissant) la tragique condition du poète, victime d’une malédiction qui l’empêche d’accéder au bonheur et l’englue dans les » vastes chagrins » du monde.
Nombreux sont les poèmes de B exprimant cette souffrance terrestre de laquelle il ne peut s’extraire la nommant tout à tour « l’Ennemi » ou « Le Spleen «. Victime de son temps B a hérité de la souffrance des Romantiques et a ouvert la voie à la marginalité des Symbolistes.
Ainsi Mallarmé, dans « brise marine » extrait de son recueil Poésies en 1865, lassé de tout, exprime lui aussi son désir d’ailleurs, tout comme le fera plus tard Rimbaud ou encore Verlaine (par exemple Ariettes oubliées « il pleure dans mon cœur »…..
Lectures complémentaires possibles : les quatre poèmes du Spleen
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