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Rousseau, "le peigne cassé"

Par   •  13 Février 2018  •  2 649 Mots (11 Pages)  •  796 Vues

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travers « la douleur du corps » (l.29), mais surtout à travers l’exploration de toutes les formes de la colère. Ce traumatisme émotionnel est tel qu’il perdure jusque dans le temps de la narration, dans lequel la sensibilité du narrateur rétrospectif se confond avec celle de l’enfant. En effet, « [son] pouls s’élève encore », l’adverbe « encore » signalant la continuité de la réaction physique aux deux époques différentes.

Cette expérience de la première injustice est donc un traumatisme pour l’enfant car il perd toutes ses illusions et se confronte à l’altérité de la réalité sociale. La communication avec autrui est désormais rompue mais le narrateur rétrospectif la rétablit à travers le plaidoyer visant à la réhabilitation.

DEUXIEME PARTIE

Se souvenir à travers l’écriture permet à Rousseau de rompre le silence contraint de l’enfant et de se réhabiliter en plaidant son innocence. Il parvient à persuader le lecteur par un procédé d’identification à la victime. Cette dernière suscite d’ailleurs une grande compassion.

Rousseau écrit ce souvenir sous la forme d’un discours judiciaire qui défend l’accusé dont l’innocence est incontestable. Il revit ce moment avec l’aplomb de son âge et, par conséquent, peut enfin se défendre et venger le traumatisme subi par l’enfant. De ce fait, il prend la parole, comme le suggère l’interjection « eh bien » (l.3) et l’emploi des verbes de déclaration au présent de l’indicatif et à la première personne du singulier, « je déclare » (l.3) et « je dis » (l.20), qui montre le rhéteur osant clamer son innocence. Celle-ci scande l’exorde du discours (l.1-9) à travers la répétition de « J’en étais innocent ». De plus, sa thèse est appuyée par de nombreuses réfutations jalonnant l’ensemble du passage et qui nient les faits dont on l’accuse. La conviction du défenseur se traduit également par un ton assertif marqué par l’asyndète, comme dans la phrase : « Qu’on ne me demande pas comment ce dégât se fit : je l’ignore et ne puis le comprendre ; ce que je sais très certainement, c’est que j’en étais innocent » (l.7-9). Agencée de la sorte, son argumentation est incontestable.

­À la conviction, le rhéteur ajoute la persuasion, tentant d’infléchir le lecteur par les sentiments. Il utilise s’emblée le procédé de l’identification en présentant l’enfant sous la forme d’un type par l’usage de l’article indéfini, comme dans « un enfant » (l.12), en emploi générique. De ce fait, ne formant qu’une seule et même conscience avec le lecteur, Rousseau parvient à retrouver « la transparence des consciences », c’est-à-dire une communication essentielle, originelle avec autrui. De plus, par le biais de l’interpellation illustrée par le subjonctif à valeur injonctive tel que « Qu’on ne me demande pas » (l.7), il intègre le lecteur dans le récit. Celui-ci est projeté dans le texte, il fait partie de la scène et y joue un rôle presque actif. En effet, Rousseau demande « qu’on se figure » (l.10). Ainsi, le texte trouve-t-il sa prolongation dans la conscience du lecteur qui doit, par cette intériorisation du passage, innocenter l’enfant. Il cherche, en outre, à susciter la compassion du lecteur, c’est-à-dire à partager ses maux. Pour ce faire, il se sert du pathos, caractéristique de la rhétorique. Par exemple, l’hypocorisme « petit être » (l.19) vise à atteindre le lecteur, à lui faire prendre partie pour lui. Ainsi, par le biais du langage, Rousseau parvient-il à transformer le réel en faisant innocenter désormais l’enfant aux yeux de ses juges. Il rétablit donc la vérité. Cependant, l’écriture permet aussi la déformation du réel, faisant de l’enfant une victime absolue.

Rousseau dramatise son souvenir par l’esthétique de l’exagération, omniprésente dans le texte. D’emblée, il confère à ce souvenir une grande solennité, prenant le « Ciel » (l.4) à témoin, et fait une sorte de prosopopée, plaidant son innocence comme si, mort, il s’exprimait devant le tribunal du jugement dernier. Son propos est à la mesure de son juge et par conséquent se caractérise par l’exagération. Celle-ci se manifeste dans le style, à travers un ton grandiloquent qui se caractérise par l’emploi de longues phrases multipliant les propositions enchâssées. Ainsi, le deuxième paragraphe n’est-il composé que de deux phrases dont la première se gonfle de relatives emboîtées les unes dans les autres, etc. La longueur des phrases contribue au grandissement du sentiment d’injustice. L’exagération de celui-ci est également perceptible dans l’usage qu’il fait des adverbes d’intensité tels que « très », « si », « tellement » ainsi que dans l’emploi des superlatifs : « le plus » (l.17), et « la moindre » (l.22).

Rousseau intellectualise donc l’émotion de l’enfant à travers un discours judiciaire qui affirme ce qu’avant il ne pouvait que taire. Le lecteur lit à travers ce plaidoyer la conscience de l’enfant et, persuadé de son innocence, le réhabilite. Rousseau s’érige donc en victime absolu et fait de ce traumatisme à la violence exagérée un des traits constitutifs de son être.

TROISIEME PARTIE

Rousseau, à partir de son expérience sensible, veut définir son identité. Mais, déformant la réalité pour faire son apologie, il devient lui-même un personnage fictif. De la même manière, son récit recrée artificiellement le temps et fait de son identité « une fiction de l’imagination », selon l’expression de David Hume. Son projet ne peut s’accomplir qu’au-delà du langage, dans l’émotion.

Rousseau se crée une identité idéalisée, fictionnelle. Il donne de lui l’image d’un héros épique. En effet, il apparaît comme l’instigateur de la révolte à Bossey, son cousin se mettant « à [s]on unisson «  (l.34). En transformant la locution adverbiale figée, il fait l’apologie de son héroïsme. De plus, il vole au secours des opprimés, se « [mettant] en nage » (l.56) pour les défendre. Ses adversaires sont des stéréotypes tels que le « tyran féroce » (l.53) et le prêtre intrigant sortis de ses lectures. En se battant contre eux, il devient lui-même un personnage fictif. Se met donc en place une mise en abyme de la fiction, Rousseau se définissant comme un héros épique à l’intérieur des Confessions, qui mettent en scène un personnage évoluant dans le monde virtuel

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