Cyrano de Bergerac, Edmond de Rostand, Acte I, scène 5
Par Andrea • 30 Novembre 2018 • 1 915 Mots (8 Pages) • 2 376 Vues
...
Les 2 impératifs « regarde-moi » et « dis » (vers 514-515) montrent que Cyrano veut obliger Le Bret à convenir que son physique est un handicap. Il refuse que Le Bret triche. Cela révèle son courage et son refus de se bercer d’illusions.
⇨ Bien que Cyrano affirme ne pas se « fai[re] d’illusion », plusieurs termes de son propre discours viennent le contredire.
● Métaphore « l’heure se parfume » vers 518, « songeant », « j’aimerais » (conditionnel), « marcher dans de la lune », métonymie « je hume l’avril » vers 519-520, « je m’attendris » : il révèle son caractère rêveur.
● Il imagine un cadre spatio-temporel romantique, comme le montrent les champs lexicaux de la nature et de la nuit.
Champ lexical de la nature : « jardin » (2 fois), « je hume/ L'avril. »
Champ lexical de la nuit : « soir bleu », « l'heure se parfume », « rayon d' argent », « la lune ».
● vers 516 à 525 : Registre lyrique ⇨ emploie le pronom « je », et exprime un rêve de bonheur et d’amour avec musicalité.
● La diérèse Illusi/on au vers 516 suggère d’ailleurs qu’il s’attarde avec plaisir sur ce mot.
II. Vision de la femme et de l’amour.
A. Idéalisation de la femme. (caractéristique du mouvement précieux)
⇨ Roxane : une beauté surhumaine.
• Superlatifs relatifs qui idéalisent sa beauté : « la plus belle qui soit ! (...) au monde », « La plus brillan/te, la plus fi/ne, la plus blond(e) ! » vers 499 : anaphore de « la plus » et l’accumulation de ces 4 groupes soulignent sa supériorité indéniable, le rythme (trimètre romantique 4/4/4) insiste sur l’harmonie, la perfection de Roxane.
• Idem pour « Qui connaît / son souri//re a connu/ le parfait » vers 504, rythme 3/3 // 3/3 = tétramètre + parallélisme de construction doublé de la répétition du verbe « connaître ».
• Elle est supérieure à Vénus (= Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté) dans sa conque (le coquillage – en grec, « aphros » - dans lequel elle est souvent représentée pour suggérer qu’elle est née de l’écume de la mer), et à Diane, jumelle d’Apollon et déesse de la chasse), qui ne peuvent selon Cyrano égaler Roxane.
Cf. : couples d’antithèses entre les gestes les plus anodins de Roxane et la grâce divine qui en émane : « Elle fait de la grâce # avec rien, elle fait/ Tenir tout le divin # dans un geste quelconque », « Vénus », « Diane », déesses # incapables d’égaler Roxane lorsqu’elle « monte en chaise et marche dans Paris » (noter effets sonores soulignant l’harmonie extrême des gestes de Roxane)
• Le temps que met Cyrano à décrire Roxane sans la nommer depuis « celle... » au vers 491 jusqu’au vers 511) montre à quel point il se croit indigne de prononcer son nom et donc de l’aimer. C’est Le Bret qui la nomme le 1er, et lorsque Cyrano confirme, le tiret avant « Roxane » au vers 511 signale un silence, comme avant d’oser prononcer le nom d’une divinité dont lui oserait être amoureux.
• La réponse de Le Bret « Eh ! mon Dieu, quelle est donc cette femme ? » au vers 500 montre que le portrait est tellement magnifié qu’on a peine à croire qu’une telle femme existe.
⇨ Sa haine de Montfleury est aussi virulente justement parce qu’il idéalise Roxane.
• Charge caricaturale contre l’aspect physique de Montfleury qui est animalisé : « Silène » (être mythologique mi-homme mi-cheval), « yeux de carpe », yeux de grenouille », « longue limace ». Montfleury est indigne de « poser son regard » sur Roxane et de se croire « un doux péril » pour les femmes : son mépris pour cet acteur qui « bredouille » va de pair avec l’idéalisation de Roxane qui est comme une déesse, un objet sacré.
• hyperbole dépréciative « si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril ».
• Enjambement du vers 483 à 490 qui fait percevoir l’indignation de Cyrano, de même que les exclamations.
B. Vision romantique de l’amour :
⇨ La passion est forcément tragique et malheureuse.
Cyrano voit son amour comme une fatalité qui a fait naître en lui une attirance justement pour quelqu’un d’inaccessible : elle est le paroxysme de la beauté, et lui pense être un paroxysme de laideur. Cf. : « Mais cela va de soi ! » « mais c’est forcé » (vers 497-498).
⇨ L’amour est source de souffrances.
Champ lexical de la souffrance amoureuse : « Un danger / Mortel » (contre-rejet + hyperbole), « Un piège », « embuscade » qui rime avec « rose muscade », variété de rose rouge, emblème de l’amour). Il insiste néanmoins sur son innocence (noter le parallélisme de construction du vers 501) pour montrer qu’elle est inconsciente des souffrances qu’elle engendre, c’est « sans le vouloir », « sans y songer ». Mais le conditionnel « Aussi moi j’aimerais » au vers 523 et la chute de la tirade évoquant son profil montre bien la souffrance qui résulte de l’impossibilité pour lui d’oser assouvir ses rêves.
⇨ L’amour détient un pouvoir magique.
Du vers 516 au vers 524, Cyrano donne une vision très poétisée de l’amour par les métaphores « l’heure se parfume », le « rayon d’argent », « marcher dans de la lune » : l’amour, à ses yeux, transfigure le monde et lui donne une apparence de rêve idéal.
Conclusion.
Scène importante puisque c’est celle qui nous apprend la passion qui dirige tous les actes de Cyrano par la suite. C’est ici que se conclut l’exposition.
Scène émouvante par les confidences lyriques et élégiaques de Cyrano, mais qui font aussi percevoir le « panache » de Cyrano qui a décidé d’être admirable en tout et qui refuse de s’apitoyer sur son sort, plaisantant même ici de sa disgrâce physique.
...