Cyrano de Bergerac,Acte III
Par Ramy • 6 Mai 2018 • 1 496 Mots (6 Pages) • 1 009 Vues
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Roxane est élevé au rang de reine par tous les métaphores qui l’enchantent : « un baiser, c’est si noble madame que la reine de France au plus heureux des lords en a laissé prendre un, la reine même ! », « j’adore comme lui la reine que vous êtes »
Une élévation a lieu pour chaque personnage, celle de Christian qui prend de l’assurance, Roxane qui est sous le charme des comparaisons de Cyrano qui lui va crescendo vers un langage poétique.
Enfin, la virtuosité de Cyrano lui permet de séduire Roxane en usant de procédés et de tours poétiques. Les rimes internes, les assonances et les allitérations ainsi que les répétitions rythment la scène et confèrent une musicalité envoûtante aux paroles de notre séducteur. « Quitté » rime ainsi avec « glissé », accentuant l’équivalence entre les deux expressions qui composent ce vers. L’assonance en « i » dans la première réplique de Cyrano – « insensiblement », « quitté », « badinage », « glissé », « glissé », « sourire », « soupir » (2 fois), « glisser », « insensible », « il », « n’y », « frisson » - annonce peut-être la célèbre métaphore de la réplique suivante qui fait du baiser « un point [...] sur l’i du verbe aimer ».
Cyrano utilise des propositions subordonnées relatives
Les vers constituant la seconde réplique de Cyrano sont construits de la même manière, un substantif complété par une relative ou un participe, pour conduire Roxane du « serment » au « baiser » qui scelle l’union des deux âmes amoureuses : c’est ainsi qu’un premier vers définit le baiser comme « un serment fait d’un peu plus près » tandis que les derniers vers de la réplique font de lui la traduction charnelle d’une union spirituelle par le biais de métaphores qui associent le corps et l’esprit : « se respirer le cœur » et « se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! ».
Cyrano emploie donc une langue poétique pour pouvoir envouter la charmante Roxane, ce qui est un succès. Il utilise l’assonance en « i » pour faire un effet de poésie. Dans sa seconde réplique il est question d’une union spirituelle renforcée par des métaphores.
Cette scène est également originale par le mélange des registres comique lyrique et pathétique.
Rostand y a ajouté quelques touches humoristiques. Le comique de situation est présent. Roxane qui pense s’adresser à Christian, Christian qui laisse parler Cyrano à sa place. L’autodérision dont fait preuve Cyrano dans son aparté : « C’est vrai, je suis beau… j’oubliais » Qui est censé faire rire le public. La répétition de « Monte ! » de Cyrano, qui doit dire à Christian l’attitude à adopter, l’expression « animal » pour désigner Christian qui contraste avec le langage poétique de Cyrano lorsqu’il s’adresse à Roxane.
Le registre lyrique présent dans la dernière réplique de Cyrano. Il émeut le spectateur car il est un peu content malgré le sacrifice qu’il a fait pour rendre heureux celle qu’il aime, même si ce n’est pas avec lui.
Par ailleurs L’action est particulièrement pathétique en raison de l’opposition entre la beauté morale de Cyrano et sa laideur physique Cyrano est pris dans son propre piège ; il se laisse prendre au piège de l’illusion qu’il a lui-même créée : « s’exaltant ». Comme Roxane est charmée par ses mots, il en oublie qu’il n’est qu’un intermédiaire entre elle et Christian quand, soudain, la réalité refait brusquement surface. Le commentaire élogieux de Roxane : « Et tu es beau comme lui… » le dégrise. Le duo lyrique avec Roxane est bien fini : Cyrano est renvoyé à sa solitude, pendant que Christian enlace Roxane.
Cyrano, éblouissant de verve, parvient ainsi, dans cette scène, à séduire Roxane qui tombe littéralement sous le charme de ses mots et laisse Christian lui voler ce baiser qui scelle leur amour. C’est la parole poétique et inspirée du héros qui élève ainsi Christian au rang d’amant, tandis que Cyrano, qui a permis le bonheur de son rival amoureux, symbolise ici le héros pathétique et même presque tragique, qui émeut le spectateur par son sacrifice à la fois héroïque et désespéré. Cyrano est ici un nouvel avatar de Quasimodo, amoureux désespéré de la belle Esméralda, et dont la laideur physique dissimule la grandeur d’âme, dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Mais cette scène est également comique, qui emprunte certains de ces procédés à la farce et l’humour dont Cyrano fait preuve en se moquant de lui-même fait de lui un personnage moderne. In fine, c’est bien ce mélange des registres qui inscrit la pièce d’Edmond Rostand dans la modernité théâtrale.
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