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Le Soi, le couple et la famille

Par   •  8 Décembre 2018  •  5 722 Mots (23 Pages)  •  634 Vues

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Dans la relation pédagogique définie depuis la forte centration sur le développement de l’enfant, la parole occupe ou devrait occuper une place comparable. La mère ou le père peut aider au développement de son enfant en lui donnant un « bain de paroles ». C’est ce que Françoise Dolto recommande aux parents (1994) : « Il faut mettre le bébé au courant de tout ce qui le concerne, de ce qu'on fait et de ce qu'on fera pour lui dans l'immédiat ou dans un proche avenir. Pendant qu'on fait couler son bain, il faut lui dire : "Je fais couler ton bain" ». Les critiques adressées à Dolto notamment par un cognitiviste comme Didier Pleux (2013) peuvent surprendre. En effet cet échange verbal permanent est intéressant même si on n’adhère pas à la psychanalyse. Il peut être replacé dans la perspective ouverte par Berger et Kellner. Une telle conversation consolide de manière cognitive, et pas uniquement émotive, le monde dans lequel vit l’enfant. Ecoutons Françoise Dolto lors d’une de ses émissions sur France-Inter : « Je crois que ce qui peut intéresser l'enfant, c'est de parler de ses dessins. S'il ne les montre pas, il ne faut pas en faire grand cas. Mais si l'enfant vient montrer à sa mère ses dessins, qu'elle ne dise pas béatement "Il est très beau" sans plus. Elle doit lui parler de ce qui est représenté de l'histoire qu'il y aurait là-dedans : "Et encore?... Et là? ... Par exemple là? Et là? Qu'est ce que c'est? Ah, oui! Eh bien, tu vois, je n'aurais pas vu que c'était ça." Qu'on parle autour de ces dessins. C'est cela qui est intéressant pour l'enfant, et non pas qu'il soit admiré. L'enfant dont on admire les dessins peut être porté à se répéter pour intéresser les adultes ». Ainsi questionné par un de ses parents, l’enfant redoublera ses comportements par un commentaire personnel, ce qui donnera de la force à son monde.

A révéler

Dans Le Soi, le couple et la famille, en relisant la pièce de Georges Bernard Shaw (1983), Pygmalion, j’ai insisté surtout sur une des dimensions du travail relationnel : la révélation. Le conjoint ou le parent est là pour que l’autre, grand ou petit, puisse mieux savoir qui il est et qui il doit devenir. Il ne doit pas définir à la place de l’autre son horizon de signification, mais il doit, par sa présence et son écoute, aider à la formulation de son projet personnel. C’est ainsi que dans Titanic de James Cameron (1995), Jack valide les refus et les choix de Rose qui avait besoin de cette rencontre pour rompre avec le mariage arrangé par sa mère. A la fin du film, quand Rose s’installe dans une cabine du bateau, elle dispose des photos où elle fait du cheval à cru, à l’opposé du corset serré par sa mère voulant lui interdire toute expression personnelle. La liberté d’être soi a eu besoin d’être validée par Jack, artiste, qui savait voir au-delà des apparences sociales.

Cette fonction ne caractérise pas seulement une dimension de la relation conjugale, elle est devenue aussi constitutive de la relation pédagogique jusqu’à l’adolescence. Le droit d’agir à « titre personnel », et pas seulement en tant que « fils de », ou « fille de » s’exerce désormais dès le plus jeune âge, dans des limites fixées par les parents. Pour commencer à s’affirmer, l’enfant commence à réclamer d’être maître du temps qui officiellement libre, et donc un peu de lui-même. Dans le film Libero de Kim Rossi Stuart (2006), le père ne comprend pas cette revendication légitime d’un adonaissant. Dès le début du film, un garçon de onze ans, Tommy demande à son père s’il peut arrêter la natation et s’il peut faire à la place du football. Le père refuse avec force. Le spectateur découvre que cet homme qui éprouve des difficultés professionnelles, qui n’aime pas obéir aux injonctions de ses employeurs, voudrait que son fils réussisse absolument à la natation et gagne un championnat. Lorsqu’il est à la piscine, Tommy n’est pas lui-même ; il est d’abord « fils de », représentant en quelque sorte de son père (qui le surveille d’ailleurs). Il semble jouer le jeu, tout en le supportant de plus en plus mal. Aussi un jour refuse-t-il, avec éclat de continuer : au milieu d’une compétition de natation si importante pour ce dernier, il arrête la course. Par ce mouvement de grève, il démontre qu’il est propriétaire, partiellement, de son corps, n’ayant pas pu faire reconnaître autrement sa demande. Le père de Tommy interprète mal ce geste, il se bloque en lui disant qu’il ne le considère plus comme son fils. Or Tommy ne refuse pas d’être fils de, mais il veut pouvoir disposer, pour une part, de lui-même. Son père aurait du accompagner cette demande d’autonomie en créant le cadre d’une émancipation progressive. A la fin du film, Tommy renonce à partir en vacances d’hiver avec la famille d’un ami plus fortuné alors que son père, désespéré, ne parvient plus à joindre les deux bouts. Il renoue les liens distendus avec son père, lui démontrant qu’il est toujours aussi « fils de ». . Quelques jours plus tard, son père lui signale qu’il s’est renseigné sur le club de football. Tommy voit son rêve se réaliser. Il sera dans l’équipe libero, défenseur libre.

Cependant, Tommy abandonnera peut-être aussi ce sport. Le chemin pour devenir soi n’est pas rectiligne. Il faudra éventuellement que son père l’aide encore. Ce rôle d’accompagnateur on le comprend avec Janusz Korczak qui opère une analogie entre la ville inconnue et l’identité personnelle de l’enfant : « L’enfant est comme un étranger dans une ville inconnue dont il ne connaît ni la langue, ni les coutumes, ni la direction des rues. Souvent il préfère se débrouiller seul, mais si c’est trop compliqué, il demande conseil. Il a alors besoin d’un informateur poli », et on pourrait ajouter compétent...

Cette fonction de révélation n’implique pas nécessairement une croyance en une « nature » de l’individu, un déjà-là qu’il s’agirait seulement de dévoiler. Le soi intime n’est pas caché au fond de soi, dès la naissance, malgré les représentations dominantes de l’identité en Occident, étudiées par Charles Taylor (…). Curieusement, la psychanalyse et la sociologie classique en mettant l’accent sur la prime socialisation ont repris ce schéma, en sous-estimant complètement la production de soi tout le long de la vie, la socialisation secondaire. « Les sources du moi » ne se résument ni dans la nature initiale, les talents cachés, ni dans la première éducation, elles puisent dans telle ou telle

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