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Quel problèème pose l'illusion, que ne poserait ni l'erreur, ni le préjugé ?

Par   •  28 Octobre 2018  •  9 163 Mots (37 Pages)  •  498 Vues

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par les Modernes, qui conduit à identifier croyance fausse et illusion, et à considérer que n’est efficace qu’une action ‘indirecte’. Pour Marx, la seule manière de dissiper l’illusion, lorsque je vois le bâton plongé dans l’eau comme courbe, est de sortir le bâton de l’eau. Il faut agir sur la genèse de la distorsion, enlever le bâton, supprimer les causes ‘à la racine’. C’est l’action et elle seule qui permet de se déprendre de l’illusion. Le simple savoir n’abolit rien : il n’est effectif que s’il permet d’agir, de saisir le taureau par les cornes, de modifier la source même des croyances fausses, de changer la production et la genèse de l’idéologie. Comme dans une ‘chambre obscure’ il doit être possible de ‘renverser’ à volonté les représentations en jouant sur leurs sources, de les rectifier, ce qui explique de connaître la genèse de l’idéologie.

Avec Marx, on sort de la simple opposition de l’ignorance et du savoir, ou de l’erreur et du jugement droit ; cependant, il n’est pas sûr que nous en ayons pour autant ‘fini’ avec l’illusion. La production de l’idéologie est en effet un processus nécessaire ; la science, qui dégage la nature et la genèse de l’illusion, dégage en même temps la nécessité de son objet ; elle est d’autant plus impuissante qu’elle parvient mieux à cerner les mécanismes de production de l’illusion. Dégager la nécessité de l’objet, c’est aussi mettre en évidence la difficulté qu’il y a à agir ; on pourrait avoir tôt fait de conclure que l’illusion est ‘nécessaire’ dans le champ social.

L’autre grande source d’illusion chez Marx est le fétichisme. E. Balibar souligne le fait que si l’idéologie est un terme lié à L’Idéologie allemande (texte qui, on doit le noter, n’a pas été publié par Marx) la notion de fétichisme domine le Capital. L’idéologie est discursive, elle est un produit des institutions, de l’entre-jeu de l’infrastructure et de la superstructure ; le fétichisme, par opposition, n’est pas produit par un ‘universel’ social humain, mais se trouve au cœur du processus marchand. La marchandise devient chez Marx une entité particulière régie par les lois naturelles qui dominent la volonté humaine, au niveau prédiscursif. Le fétichisme est ainsi plus prégnant, plus insidieux, que l’idéologie qui agit au niveau discursif. Il y a potentiellement impossibilité de se ‘déprendre’ du fétichisme – ce qui nous renvoie à ce que nous disions : plus la science du faux progresse, plus elle dévoile la nécessité du faux, et rend ardues les conditions d’action sur lui. L’émergence ardue de la ‘science de ‘l’illusion’ demeure moins problématique encore que la naissance d’une science de la désillusion.

(i) Analyse de notion.

Je suis dans le brouillard,

Je vois un arbre au loin, que je prend pour un homme ; c’est une erreur.

Je suis sur un radeau,

Je vois une rame dans l’eau comme si elle était brisée ; c’est une illusion.

→ L’erreur est temporaire ; la raison a contre elle une puissance absolue ; elle la fait retourner au néant. L’erreur, l’homme-arbre, n’est littéralement plus rien une fois découvert pour ce qu’il est.

→ L’illusion, en revanche, est permanente ; elle ne disparaît pas avec la conscience que j’en prends. Je puis cesser de croire à une illusion, je ne puis l’abolir.

On peut supprimer une erreur, on ne peut que se libérer, s’affranchir, d’une illusion, et de manière imparfaite.

L’intérêt d’une telle distinction entre l’erreur et l’illusion est autre que celui, tout relatif, d’affiner la typologie des tromperies. Autrement dit, l’illusion nous apprend quelque chose quant au faux, que l’erreur ne suffit pas à nous apprendre. On peut le voir en étudiant une illusion d’optique, celle de la rame brisée. L’illusion d’optique est l’illusion devenue objet de science ; elle est l’illusion faite objet de la science de l’optique. C’est à dire que l’illusion est le faux, en tant qu’il peut devenir objet consistant du savoir.

Si l’illusion est un concept moderne, plus encore que grec, c’est que les grecs attribuent en général la tromperie à l’erreur, un manque de savoir que le savoir dissout, un néant, un inessentiel que la conscience a pour charge d’abolir, mais qu’il serait contradictoire de penser comme tel, puisque l’erreur, justement, n’est en réalité rien.

Le thème, cher au XVII° siècle, de l’illusion confère au contraire au faux un être suffisant, une réalité telle qu’il peut devenir, lui-même et en tant que tel, objet de science. L’illusion devient objet de savoir, qui a une consistance propre.

On tâchera donc ici de construire la discussion autour de l’évaluation de cette opposition : avec l’illusion, le faux devient objet possible de la connaissance, et cesse d’être simple erreur. Il nous faux examiner la nature d’une rationalité capable de faire dû savoir, à partir du faut. Il faux découvrir en quoi peut consister une « science du faux ».

Une brève analyse de concept permet de confirmer ce qui a précédemment été annoncé. L’illusion n’est pas l’erreur mais ne s’identifie pas non plus au préjugé ou à l’hallucination.

Illusion ≠ préjugé, qui est opinion préconçue qu’une démarche critique pourrait éclairer . Ce n’est pas par préjugé que je vois la rame brisée dans l’eau ; ce n’est pas par mauvaise éducation. Les nourrices n’apprennent pas à être dupes des illusions d’optique lorsqu’elles racontent des fables. L’illusion est immédiate, ante-prédicative.

Illusion ≠ l’hallucination, qui est sensation ou perception provoquée par un objet inexistant. L’illusion suppose une réalité extérieure au sujet qui la perçoit.

Ces distinctions permettent d’appuyer que l’illusion est le faux devenu intersubjectif ; elle n’est pas hallucination, mais mirage, un mirage indépendant de l’opinion. Elle n’est pas un préjugé toujours particulier, lié à une culture particulière. Elle est objective, permanente. Elle n’a donc pas la temporalité, la relativité culturelle, la discontinuité chaotique propre à l’opinion.

Par là-même, l’illusion subvertit l’idée que certains phénomènes seraient illusoires, au contraire d’autres ‘bien fondés’. Le bâton dans l’eau, pourrait-on dire, ne trompe pas davantage que la perspective

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