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Fleurs du mal - Baudelaire

Par   •  29 Avril 2018  •  4 691 Mots (19 Pages)  •  833 Vues

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La strophe 8 reprend le thème, propre à la littérature romantique allemande, de l’impossibilité, dans la poursuite d’un idéal, de l’atteindre parce qu’il se dérobe toujours devant comme un mirage. L’inconnu est toujours renouvelé, introuvable en fin de compte, puisqu’une fois la rive nouvelle abordée, puisqu’une fois des noms mis sur ces objets exotiques que nous ignorions quelques heures auparavant, si notre curiosité est quelques temps rassasiés, reste néanmoins cette soif d’ailleurs, cette envie de ficher son camp vers l’innommé, l’autre monde.

Les strophes 9 à 12 donnent de l’âme dispersée la métaphore d’un «trois-mâts» en quête d’une «Icarie» (vers 33). île grecque près de laquelle Icare se serait noyé, le mot étant cependant pris ici dans l’acception que lui avait donnée Étienne Cabet dans son ‘’Voyage en Icarie’’ (1840), où il en faisait un pays idéal où les êtres humains vivent en société totalement communiste. Se développe une scène se passant sur le bateau où «l’homme de vigie», à la voix «ardente et folle» (en qui on peut voir le chef, le politicien, sinon le prophète) fait de grandes promesses (dont celle d’un «Eldorado» (mot remarqué déjà dans ‘’Un voyage à Cythère’’ [vers 7]) «promis par le Destin»), mais ne voit finalement qu’une catastrophe s’annoncer (l’«écueil» du vers 36, le «récif» du vers 40). Il est, comme toute l’humanité, victime de l’imagination trompeuse, qui, image puissante mais un peu décalée, «dresse son orgie», mot qui suggère l’excès.

À la strophe 11, «l’homme de vigie» est encore désigné comme «le pauvre amoureux des pays chimériques» (mot que le poète fait habilement rimer avec «Amériques»), comme le «matelot ivrogne» qui a inventé ces Amériques pouvant être Christophe Colomb, qui fut d’abord le seul à croire en leur existence. On remarque le retour de la rime «mer-amer». À la strophe 12, il est comparé à un «vieux vagabond», qui, en chaque «taudis», croit découvrir «une Capoue», par allusion à cette ville de Campanie dont, Hannibal s’en étant emparée en -21, les «délices» étaient telles qu’elles avaient été dangereuses pour la combativité de ses troupes.

Troisième partie : Des non-voyageurs, avec une curiosité avide et une exaltation appuyée, sans vouloir eux-même voyager («sans vapeur et sans voile», les deux façons de naviguer sur de longues distances), en évoquant ce qui pourrait être une prémonition du cinéma («Faites […] Passer sur nos esprits, tendus comme une toile») questionnent les «étonnants voyageurs».

Quatrième partie : Les voyageurs, prenant la parole, indiquent d’emblée que leurs voyages, à travers un monde qui n’est qu’un spectacle («nous avons vu»), une surprise étant ménagée par l’enjambement («des astres / Et des flots»), aboutirent, à cause de la banalité répétitive, à I'ennui (vers 60), et que l'évasion, de ce côté-là encore, a échoué. Mais, à la strophe 16, ils se complaisent pourtant dans les magnifiques tableaux de «cités» et de «paysages» qu’ils ont rencontrés, et qui excitaient leur «ardeur inquiète», «inquiète» parce qu’elle ne leur permettait pas de demeurer tranquilles, comme, plus loin (vers 68), «le désir» les «rendait soucieux». Ces magnifiques tableaux, sur lesquels ils insistent par les diérèses à faire à «mystéri-eux» et «souci-eux», étaient moins attrayants que «ceux que le hasard fait avec les nuages», ceux qui allaient monopoliser l’intérêt de «l’Étranger» des ‘’Petits poèmes en prose’’.

Ils dénoncent I'illusion de leurs rêves, leur impuissant effort pour rassasier leur curiosité. Puis ils reconnaissent que le monde n’a jamais satisfait un insatiable désir de l'étrange et du nouveau, désir qui est interpellé et stigmatisé, à la strophe 18, après l’ambiguïté du vers 69 (il faut naturellement comprendre : la jouissance ajoute de la force au désir au lieu de l'épuiser), à travers cette significative métaphore botanique : «vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais. Cependant que grossit et durcit son écorce, Tes branches veulent voir le soleil de plus près !». (vers 70-72), métaphore qui est encore poursuivie, dans une sorte d’enjambement, au début de la strophe suivante où l’arbre qu’est le désir est «plus vivace / Que le cyprès», espèce dont le feuillage toujours vert, avec toujours des fruits, le bois quasi imputrescible, l’odeur d'encens, ont fait depuis l'antiquité grecque le symbole de la vie éternelle, l'arbre des cimetières.

Ils reviennent encore cependant sur leurs voyages pour indiquer que, de ce monde qui n’est qu’un spectacle, ils ramenèrent des «croquis», destiné à l’«album vorace» (intéressante hypallage) des amateurs de récits de voyages (qui sont des «frères» parce que ce goût est partagé par les uns et les autres) pour dire qu’ils ont rencontré un exotisme de pacotille, la description des strophes 20 et 21 semblant se rapporter très précisément à I'Inde .

Cinquième partie : Très hardiment, elle n’est qu’une brève relance des voyageurs par leurs interlocuteurs. Cette dramatisation par l’accentuation du contraste entre la curiosité avide des non-voyageurs et la déception des voyageurs fut introduite dans la version de 1861 ; dans le placard primitif de 1859, il n’y avait pas de rupture au vers 84, qui était le dernier vers de la strophe 21.

Sixième partie : Les voyageurs, après s’être moqués de la curiosité des non-voyageurs reprennent la parole pour dire leur déception : dans toutes les sociétés humaines, sous tous les climats, «Du haut jusques en bas de I'échelle fatale» (celle qu’on descend et qui aboutit à la mort), ils ont vu «Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché» (vers 88), l’ennui étant causé par la banalité répétitive. Le monde serait donc habité par le mal, qui s’étend dans l’infini du temps et de l’espace.

La diatribe se poursuit dans la strophe 24, devenant sociale et politique. Baudelaire rejette non seulement un «bourreau» (vers 93) qui n'est pas pour lui un insensible instrument de la justice mais trouve sa joie à torturer, la «fête qu’assaisonne et parfume le sang», «le poison du pouvoir énervant le despote», mais aussi, ce qui étonne, «le martyr qui sanglote» et «le peuple amoureux du fouet abrutissant» (en 1859, il avait écrit «amateur»).

Dans les strophes 25 et 26, Baudelaire semble résumer les blasphèmes de la partie ‘’Révolte’’ des ‘’Fleurs du mal’’. Dans la première, que devraient méditer ceux

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