L'aveu de Phèdre à Hippolyte, acte II, scène 5, vers 634-711, Jean Racine
Par Christopher • 3 Novembre 2018 • 2 792 Mots (12 Pages) • 2 807 Vues
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Ce n’est pas une prise de distance, mais au contraire l'affirmation orgueilleuse de son rôle d'amante et de guide.
➢ Champ lexical de l’amour :
- la passion dirige l’action du personnage tragique « l’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée » au vers 654
- L’amour ensorcèle l’être car il exerce un pouvoir magique sur lui « cette tête charmante » au vers 657 = Détail sensuel sur le physique d’Hippolyte accompagnant un possible nouveau geste de Phèdre.
- Création d’un nouveau couple Hippolyte-Phèdre avec l’auto-désignation de Phèdre en tant que partenaire du couple « amante » au vers 658 = personne qui aime une personne et en est aimée.
+ union des deux pronoms rapprochant symboliquement les deux individus : X du pronom « vous » et « moi-même devant vous ».
Ainsi s’estompent les figures de Thésée et d’Ariane au profit d’un « nous » incarné par le nouveau couple : Hippolyte et Phèdre et aboutissant à la formule finale « Et Phèdre …ou perdue».
➢ Le motif du labyrinthe : « tous les détours de sa vaste retraite » v.650 « Vous eût du labyrinthe enseigné les détours » v. 656 « Au labyrinthe avec vous ... retrouvée ou perdue. » v. 661
De façon symbolique, le passé recréé grâce au labyrinthe se situe en Crète, terre des origines de Phèdre et par conséquent, terre du recommencement imaginaire. Le labyrinthe est un lieu souterrain (« descendue »),, lieu trouble du désir ici. C’est un lieu retiré propice pour Phèdre à la production fantasmée d’un amour interdit. Or, la nature du péril a changé. Il ne s’agit plus d’affronter le monstre mais d’explorer les méandres de la passion, autre labyrinthe, où l’on peut s’accomplir ou disparaître « se retrouver ou se perdre ». Le labyrinthe n’est donc plus seulement le lieu de l’accomplissement héroïque mais il se charge ainsi de connotations à la fois érotiques et mortifères (= qui évoque la mort)
II. ...A l'aveu violent d’une amante repoussée
Si la première tirade offrait un premier aveu déguisé et allusif grâce au voile de la reconstruction mythologique, la seconde est quant à elle placée sous le sceau de l’affliction la plus extrême
A) La solitude d’une héroïne
▪ Solitude tout d’abord car l’amour qu’elle éprouve n’est pas réciproque.
Ce dernier passe de l’incompréhension à la gêne puis à l’indignation :
- Hippolyte est d’abord dans l’erreur aux vers 631-633 car imagine voir une veuve éplorée
- Silence pendant l’aveu mais connaissance de sa réaction au vers 642 avec la référence à une « noble pudeur »
- Enfin, effroi, impossibilité d’en entendre davantage aux vers 663 et 664.
Retouvre la parole mais c’est une parole outrée, choquée à la mesure de la démesure dont vient de faire preuve Phèdre.
Interjection « Dieux ! » renforcée par la diérèse + question à valeur exclamative traduisant l’indignation et l’horreur au vers 663. On entend l’intonation haletante d’Hippolyte avec le rythme croissant :
« Dieux ! [2] qu’est-ce que j’entends ![4] Madame, oubliez-vous Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ? [16] »
+ retour au présent du vers 664 après l’irréel de Phèdre = rappel à l’ordre.
+ ton solennel avec la mention du prénom de Thésée et des deux outrages qui s’apprête à commettre Phèdre au sein du même vers 664
▪ Solitude aussi car malgré la structure dialoguée, Phèdre paraît seule, livrée à sa passion.
Durant toute notre passage, deux personnages sont présents aux côtés de Phèdre (Oenone et Hippolyte) or ces deux présences quasiment muettes exacerbent la solitude de l’héroïne tragique.
- X marques de 2ème personne avec le « vous » dans la première tirade puis le « tu » dans la seconde - X des types de phrase et commenter particulièrement le type impératif / injonctif / jussif (= modalité déontique cad donner de ordres )avec « connais » au v672, « rappelle » au v683, un redoublement au vers 699 « venge-toi, punis-moi » + phrases nucléaires (= constituée du seul noyau verbal) aux vers 706 « frappe » et 711 « donne
Ces injonctions très présentes et culminant avec la prise de l’épée visent à faire réagir Hippolyte.
- Sollicite son récepteur en évoquant plusieurs de ses sens:
➢ L’ouïe au vers 670 « tu m’as trop entendue »
➢ La vue au vers 691 « il suffit de tes yeux »
➢ Le toucher: rappeler le rôle du démonstratif dans la première tirade (v641-642) + vers 704. On peut l’imaginer prenant la main d’Hippolyte.
Tout dans son discours vise à susciter une réaction d’Hippolyte mais elle n’obtient rien, aucun mot, aucun geste de la part de son interlocuteur. Bien plus, n’est confrontée qu’à la gêne, qu’au rejet d’Hippolyte marqués au vers 692 « Si tes yeux un moment pouvaient me regarder »
. B) Se livrant à un discours pathétique
▪ La lucidité d’une héroïne tragique
Extrême lucidité du personnage qui par une espèce de dédoublement se juge avec une rigueur implacable. Se conçoit comme son propre sujet d’analyse : « je m’approuve-moi-même » (v674)
➢ Isotopie de l’amour avec récurrence du verbe « aimer » à la forme affirmative et négative, au présent et au passé, à la forme infinitive et conjuguée (v673, 688, 697, 702)
- Déclaration frontale et sans ambages (= sans détour) d’un amour total au vers 673 « J’aime ». La passion occupe toute la phrase
- Forte présence du siège des sentiments, le cœur aux vers 682 et 704. Le cœur est personnifié par une synecdoque au vers 697 : exacerbation de la passion avec l’expansion du nom
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