Commentaire de Texte : Voyage au bout de la nuit, Céline
Par CherryDoll • 10 Janvier 2018 • Commentaire de texte • 1 548 Mots (7 Pages) • 1 634 Vues
Commentaire de texte
Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, (1932)
Ecrivain contemporain de la littérature française du XIX ème siècle, Céline s’illustre par son écriture engagée et novatrice. S’appuyant sur sa propre expérience de soldat de la Première Guerre Mondiale, il écrit en 1932 le roman Voyage au bout de la nuit, dénonçant ainsi l’absurdité de la guerre. De ce fait, nous pouvons nous interroger quant à la représentation de la guerre que nous offre l’auteur. Nous étudierons par conséquent dans une première partie l’idée que Bardamu soit un antihéros tout en étant un témoin principal de la guerre, puis nous analyserons la dénonciation de la guerre.
Double de l’auteur ayant vécu la guerre, Bardamu nous révèle par le mouvement réaliste les détails du front, notamment par la lettre du général des Entrayes envoyée au colonel (l. 14-15 ; l. 19-21) et par la peur du porteur (l.21). De plus, la focalisation interne permet au lecteur de connaître les diverses réflexions ainsi que les ressentis du personnage. Le langage argotique renforce également la proximité établie entre le lecteur et le protagoniste ainsi que les sentiments éprouvés, tout comme les phrases interrogatives et l’énumération de l’auteur (l. 2-7). L’affolement, la peur et la colère de Bardamu sont de même traduits par la ponctuation, tels que les exclamations (l.1, 7, 18, 22, 26, 29, 30, 33, 34, 36, 37, 38) et les points de suspension (l. 1, 12, 26). Toutefois, le regret est aussi exprimé par les interjections (l.33) et à nouveau par les exclamations (l. 33-36, 37-38). Céline emploie par ailleurs des modélisateurs pour traduire l’appréciation que porte le locuteur sur son propre énoncé. Ainsi, nous remarquons l’emploi du conditionnel traduisant l’incertitude et l’hypothèse (l. 1, 9, 10), des mots exprimant la subjectivité des propos du protagoniste de l’œuvre, mais aussi des adverbes. Le lecteur se retrouve en définitive proche du personnage et comprend ses émotions, dont principalement la peur des combats.
Personnage ravagé par ses angoisses et sa colère, Bardamu ne possède aucune qualité du héros épique contemporain, censé être courageux, invulnérable et sûr de lui. Au contraire, Bardamu avoue sa peur, par l’emploi d’« effroi » (l.1), de «perdu » (l.2) et de « frère peureux » (l.22) et préfère la lâcheté au courage militaire. En effet,
« le seul lâche » (l. 1) exprime le fait que le personnage voudrait croire qu’il s’agit d’une erreur et préfèrerait la prison à l’enfer de la guerre (l.16-18), tout en regrettant sa situation, qu’il ne pouvait pas deviner plus tôt (l. 33-34, 36, 37-38). Bardamu est ainsi l’exemple même de l’antihéros refusant de se battre et déclinant davantage la guerre.
Pris au piège au front, Bardamu voit en les autres hommes des caractères et des qualités héroïques dont lui-même ne fait pas preuve. Décrits comme « fous héroïques et déchaînés et armés » (l.2), les soldats pris de folie n’ont comme unique obsession l’anéantissement de l’adversaire. Le protagoniste crée alors à partir de ses constats sur le terrain sa propre vision de l’héroïsme, qu’il assimile à ces hommes qui ne lui ressemblent pas. Parallèlement, l’idée d’« héroïsme » revient souvent entourée d’adjectifs péjoratifs, comme « sale âme héroïque et fainéante » (l.11). Ce rejet de bravoure mène de surcroît Bardamu à penser que la guerre n’est qu’un chemin, une fuite conduisant inévitablement vers la mort, comme le confirme l’antithèse « j’étais pris dans cette fuite en masse » (l. 11-12). Il serait ainsi pris au piège de la guerre. En outre, le personnage ne comprend pas les soldats, dirigés par un colonel imperturbable « le colonel ne bronchait pas » (l.14). De plus, leur comportement combattif le pousse à ironiser sur la situation « C’est même reconnu, encouragé sans doute par les gens sérieux » (l.25). Ainsi, à travers l’utilisation de la focalisation interne, le lecteur pénètre dans les pensées du personnage qui lui dévoile ses réflexions sur la guerre. Les modalisateurs, ainsi que l’emploi du langage argotique traduisent les émotions du « héros », soient la peur et la colère. Dévoilant ses faiblesses et son horreur de la guerre, Bardamu apparaît comme un antihéros. En effet, il ne partage aucune des caractéristiques du héros épique, comme la puissance et le courage. Le personnage va jusqu’à rejeter la guerre et l’héroïsme qu’elle implique. Voyage au bout de la nuit est par conséquent un roman novateur pour le XXème siècle, en raison de son rejet affirmé de l’héroïsme, qui était pourtant un caractère très reconnu durant la Première Guerre Mondiale. Céline, désireux de changer les mentalités, tente par ailleurs de dénoncer l’horreur de la guerre au moyen de l’écriture. (Transition)
Exposée comme une « croisade apocalyptique » (l.8), la guerre est décrite comme étant une abomination menant à la mort. L’idée d’apocalypse renvoie aux révélations sur la fin du Monde présentes dans le Nouveau Testament, selon la religion chrétienne. Les références bibliques citées contribuent à l’idée que la guerre devient un synonyme de mort, comme l’idée de prophétie annoncée par la Bible « On y passerait tous » (l.30). L’étymologie du mot grec affirme de plus l’image d’une fin anticipée par sa signification, soit « révélation, dévoilement ». A cela s’ajoute également une comparaison à la sexualité, qui est le domaine de la connaissance du Bien et du Mal dans la Genèse. « On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. » (l.9) témoigne ainsi de l’ignorance de l’horreur de la guerre, tout comme « Je venais de découvrir d’un coup la guerre tout entière. J’étais dépucelé. ». Le personnage se sent alors nouveau-né en découvrant la vérité des combats « Ça venait des profondeurs et c’était arrivé. » (l. 12-13). Bardamu assimile donc la guerre à une fin du monde prématurée due à sa vision apocalyptique et les images pour l’animer sont nombreuses, comme « déchaînés » (l.2), « meurtre commun » (l.12), « vers le feu » (l.12), « allumer la guerre… ça brûlait » (l. 28-29), et l’évocation de la chair brûlée (l.31).
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