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Alfred de Musset - Lorenzaccio Acte III scène 3

Par   •  2 Mai 2018  •  2 573 Mots (11 Pages)  •  1 058 Vues

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Prolongeant cette opposition entre vice et vertu, Lorenzo fait donc non seulement du meurtre le seul moyen d'être lui-même, mais surtout le seul acte vertueux qui lui reste possible, dans un océan de vice qui constitue maintenant son quotidien. Parce qu'il le rattache à son passé vertueux, le meurtre devient paradoxalement lui-même vertueux.

Le héros se représente donc comme dans une décadence permanente : le mouvement de la chute est présent dans la première image qu'il convoque- « songes-tu que je glisse » tandis que le meurtre apparaît encore comme seule issue, à travers la métaphore du « brin d'herbe », qui révèle à la fois le caractère nécessaire et ténu de cette solution. Lorenzaccio fait donc l'aveu de son abandon au vice, à de multiples reprises :

-« parce que je n'ai plus de honte ? » : la honte doit ici être comprise au sens de pudeur, conscience qui retient d'accomplir des actes déshonorants.

- « mon apprentissage du vice pourrait s'évanouir » : par l'emploi du conditionnel, le personnage exprime l'irréel, l'impossibilité de revenir à la vertu.

-« j'aime le vin, le jeu et les filles » : rythme ternaire qui contient dans une forme brève une sorte d'anti-trinité, un triptyque des dépravations.

Mais au moment même où il avoue ne plus pouvoir se défaire du vice, il en dit toute sa détestation : « crois-tu donc que je n'ai pas d'orgueil » ? Et il dépasse cet était vicieux par une tension vers un acte plus grand qui pourrait restaurer sa vertu, précisément celui du meurtre.

Lorenzo est donc bien, pour répondre à la question posée par Philippe, en quête d'une cohérence de l'être, et c'est précisément cette recherche de cohérence avec lui-même qui lui interdit de ne pas passer à l'acte. Seul espoir d'être soi, seul espoir de vertu, le meurtre n'est pas discutable pour Lorenzo. Mais il se justifie aussi par une autre cause, qui fait l'essentiel de la fin du texte : le meurtre doit faire la preuve, aux yeux de tous, de sa réelle identité-il y a l'action, mais aussi la manière dont elle est perçue.

C'est le sens, au milieu de la tirade, de la dernière question rhétorique adressée par Lorenzo à Philippe : « comprends-tu cela ? […] c'est mon meurtre que tu honores. » Dans le verbe honorer, on retrouve ici non seulement la question de la vertu de Lorenzo, mais aussi celle, essentielle dans le texte, de gloire. La renommée croise la problématique de l'identité : il faut être soi-même, mais aussi que chacun nous voit tel que l'on est.

C'est autour de cette idée de renommée que tourne toute la fin de la tirade, scandée par une anaphore de l'expression « voilà assez longtemps que... ». Cette dernière trouve des variations dans l'anaphore de « j'en ai assez de... » : dans les deux cas, Lorenzo exprime une lassitude et un énervement qui sont parmi les moteurs de son passage à l'acte. L'objet de cette lassitude, c'est le fait d'être mal jugé, d'avoir mauvaise réputation. On trouve ainsi une série d'expressions redondantes qui disent toutes la médisance dont Lorenzo souffre : « les oreilles me tintent », métaphore sonore à laquelle fait écho, plus loin, « brailler en plein vent », mais aussi « l'exécration des hommes », le couple « la boue et l'infamie » et le verbe « conspué », qui sont presque synonymes dans leur représentation du rejet, de la marginalisation dont souffre le héros.

Cette marginalité, dans la bouche de Lorenzo, est aggravée d'une critique de ses contemporains. Non seulement ils ne le comprennent pas et le jugent mal, mais de surcroît ce rejet est le fait d'hommes sans intérêt, incapables d'agir, auxquels Lorenzo répond par le mépris. Ceux que Lorenzo désigne par des articles indéfinis et des termes englobants : « les républicains », « les hommes », comme pour les réduire à un troupeau anonyme, « ceux qui », « les hommes », etc... Ce qui caractérise l'humanité ici, c'est précisément son inaptitude à dépasser la parole par l'action. C'est ainsi que la périphrases « des lâches sans nom » souligne à la fois l'anonymat et la passivité de ce peuple médisant. Aux « injures », qui ne sont des paroles, s'oppose le verbe « assommer », l'action, celle qu'ils « devraient » accomplir selon le protagoniste. S'ils braillent « en plein vent », c'est qu'ils le font dans le vide : on retrouve une fois de plus la condamnation de l'inutilité de la parole lorsqu'elle n'est pas suivie d'une action, ce qu'on retrouve implicitement dans les termes « bavardage » ou encore les expressions « satisfaire leur gosier et vider leur sac à paroles » : la première est une animalisation, la seconde une réification : dans les deux cas il y a dégradation et déshumanisation de ceux qui le discréditent par leurs paroles.

Mais face à ce manque de reconnaissance, le héros trouve finalement sens et motivation dans l'affirmation d'un acte libre dont il est seul maître, et qu'il est seul à avoir le courage de poser. La marginalité du héros devient ainsi un signe d'aristocratie : s'il est rejeté, c'est qu'il se démarque des autres par sa supériorité, il est le seul à agir.

On observe dans la dernière partie du texte une évolution de l'énonciation : le héros ne cherche plus à stigmatiser l'inactivité ambiante, mais affirme sa propre volonté, ce qui apparaît à travers de bien plus nombreuses occurrences du « je ». Le futur, lieu de l'action et des possibles, est ainsi investi d'espoir, avec l'exclamation « Dieu Merci ! ». Il y a alors pour Lorenzo l'idée d'un accomplissement dans le meurtre, que révèle l'expression « dans deux jours j'aurai fini. » La fin de la quête, mais aussi, probablement le pressent-il, la fin de son existence. Comme souvent chez le héros romantique, la mort et la réalisation de soi ne sont qu'une seule et même chose. De même l'emploi du futur antérieur « j'aurai dit tout ce que j'ai à dire » se projette dans un avenir où le personnage à réalisé la synthèse entre parole et action : avoir accompli le meurtre, c'est d'une certaine manière s'être exprimé, l'action parle plus fort que les mots. Lorenzo se présente alors lui-même comme une figure sacrificielle, s'offre à la vindicte populaire, ce qui est une nouvelle forme d'héroïsme : « je leur ferai tailler leur plume,

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