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Victor Hugo, Melancholia

Par   •  15 Septembre 2018  •  3 670 Mots (15 Pages)  •  1 355 Vues

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1.3 Antithèses

Hugo use de l’image de l’enfant et la développe pour émouvoir le lecteur, susciter sa pitié. Plus que des effets d’emphase et d’exagération, c’est le recours aux antithèses, qui, par contraste, permet de rendre d’autant plus infâme et insoutenable ce qui est dénoncé. Certaines sont évidentes : « innocents dans un bagne », « anges dans un enfer », l’antithèse visuelle « quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue », qui mettent en relation des termes antagoniques qui font apparaître un paradoxe. C’est ce paradoxe qui est dénoncé. De même, le travail « qui produit la richesse en créant la misère » appelle, par le rapport simultané entre misère et richesse, inconcevable, à être banni. La figure est aussi largement développée, mais également par association d’idée : v.1, « enfants » et « rit » sont mis en opposition en fin d’hémistiche, de même qu’au v.2 « filles de huit ans » et « seules ». Cette dernière est l’image de l’innocence rompue. Hugo joue ainsi dans tout le poème à souligner un paradoxe, à montrer ce qui est contre-nature, contre l’humanité, contre « ce qu’a fait Dieu ». Il appelle ainsi aux sentiments des lecteurs en jouant sur les présupposés et sur ce qui est d’un ordre naturel et social établi – par Dieu notamment.

1.2 Isotopies de la souffrance, du travail et de la misère : entre représentation et déshumanisation des enfants

1.2.1 Isotopies et effets de réel

Hugo associe dans le poème isotopie de la souffrance et isotopie de la misère. La volonté de représenter la souffrance, par définition une douleur infinie, un état « au-delà du supportable » justifie les emplois de l’hyperbole. Hugo n’hésite pas à employer et répéter le terme « travail » en isolexisme avec « travailler » avec souvent une place rythmique et métrique de choix, en portant l’accent, ce qui donne de l’ampleur au terme. Il dénote par essence la notion de peine, de « travail pénible » de par son origine étymologique héritée du « tripalium », instrument de torture. Cette spécialisation sémantique par utilisation du sens étymologique semble ici être actualisée. Le terme entre dans des réseaux sémantiques qui visent à le mettre en rapport avec « servitude » v.17, avec l’exploitation, en opposition avec le « vrai travail » v.33 et avec le « progrès » v.26 en homotaxie, et en comparaison avec « le vice où l’on s’abâtardit » « l’opprobre » et le « blasphème ». Ainsi, le terme est à prendre avec des connotations axiologiques et évaluatives, ces termes sont de l’ordre de la dégénérescence morale. On observe à cet effet un jeu sur la caractérisation du travail avec une substitution par proximité phonique entre le terme évaluatif « mauvais » et l’adjectif « maudit », qui lui est assigné par un tour attributif. Cette substitution, au-delà de l’évaluation, a valeur de condamnation. Par cette extension nominale prédicative en une triple relative, « travail mauvais » qui est le thème, devient un actant-acteur des instances verbales prédicatives des propositions relatives qu’Hugo donne à juger et condamner. « La misère » est aussi un terme pivot du texte : il désigne ce qui est à plaindre, ce qui inspire pitié, par l’expression de la faiblesse. La détermination par l’article défini donne une dimension généralisante qui amène à prendre l’occurrence dans ce sens. Le vocable peut être pris en syllepse en cotexte, dans le parallélisme qui l’unit à « richesse », et le sens matériel de celui-ci peut être actualisé. La richesse produite peut engendrer, comme par équilibre, la privation matérielle des acteurs de cette production. Ce sens permet en ce sens de figurer la peinture d’un esclavage. D’autre part, on peut souligner l’emploi de termes plutôt technique qui donnent d’autant plus une démarche argumentative au poète : « rachitisme », « meule », « produire », « richesse », « outil », « machine » mais aussi les numéraux : « quinze heures par jour », « huit ans ». Par nomination de concepts référencés, Hugo s’engage ainsi à s’ancrer dans une actualité palpable, et cherche en cela à rendre son travail d’autant plus précis et touchant.

1.2.2 Une description proche de l’hypotypose

Ce désir de précision et ces effets de réel sont amplifiés par le fait que le poète vise à donner scrupuleusement à voir ce qu’il dénonce, à le mettre en présence, pour créer un plus grand impact sur le lecteur. On peut déceler la volonté de confronter le lecteur, de le faire se sentir concerné, de le mettre au plus proche de ce qu’il lui donne à voir, comme s’il l’obligeait à regarder l’insoutenable. L’emploi du présent est notable ici : on semble glisser d’un présent d’habitude « ils s’en vont travailler » qui mime l’éternel recommencement et répétitivité de leurs journées, à un présent d’immédiateté qui actualise successivement ce qui est dit comme s’il l’avait sous les yeux : « la cendre est sur leur joue » avec un mouvement de « zoom », de détail, ou « ils semblent dire à Dieu ». On est ici presque confronté à un tableau, les enfants sont décrits extérieurement, leur misère est plus dépeinte par leur aspect physique que moral. L’accent est mis notamment sur leur maigreur, qui donne à voir la misère à l’extrême : « que la fièvre maigrit », « rachitisme » mais aussi « pâleur ». On trouve plusieurs tournures locatives et des formules prédicatives absolues souvent en emploi métaphorique qui ont un effet saisissant : « la cendre est sur leur joue », « sous les meules », « dans la même prison », « sous les dents » et qui visent à décrire comme un « triptyque » au sens originel, comme un tableau commenté. Ce sont les images saisissantes qui produisent le tableau qui amènent le lecteur à l’émotion la plus extrême. Enfin, on pourrait noter la prédominance de la gutturale « r » qui fait procéder de nombreuses allitérations qui, d’une part rendent tout à fait sonores les images, et d’autre part, par harmonie imitative, semble mimer l’âpreté et la rudesse du tableau : notamment « Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre / qui produit la richesse en créant la misère ».

1.2.3 Entre humanisation et déshumanisation

Hugo vise à décrire, peindre la misère des enfants, et leur donne même la parole, comme une prosopopée, telle qu’il en use fréquemment dans le recueil : il semble ainsi parler pour tous les misérables. Ce recours à cette

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