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La fin d'une quête, la fin d'un univers ? Lla Queste del Saint Graal

Par   •  22 Octobre 2018  •  4 581 Mots (19 Pages)  •  564 Vues

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« […] il vint en la Forest Perilleuse ou il trova la fontaine qui boloit a granz ondes, si com li contes a devisé ça en arrieres. Et si tost come il i ot mise la main, si s’em parti l’ardor et la chalor, por ce que en lui n’avoit onques eu eschaufement de luxure ».[9]

Remarquons que dans cette aventure de la fontaine c’est sa virginité et sa chasteté qui sont mises en avant. L’aventure en soit est encore une fois que sommairement relatée, suggérant comme le souligne Madame Baumgartner, qu’elle n’est pas l’aspect essentiel du texte.[10] L’aventure suivante illustre de même manière tant l’inaction de Galaad que le désintérêt de l’instance narrative quant à l’aventure elle-même. Galaad arrive donc à la tombe de Siméon, laquelle brûle de manière extraordinaire et encore une fois sa présence suffit à apaiser ce feu :

« Et si tost come il vint pres de la tombe, si fu li feuz et la flamme remese, qui maint jor i avoit esté grant et merveilleuse, par la venue de celui ou il n’avoit point de mauvese chalor ».[11]

Ces hauts-faits tiennent du sacré et ne sont donc pas comparables aux actes de chevalerie traditionnelle, il s’agit de merveille[12] et de miracle[13] comme le texte le mentionne d’ailleurs. Ces aventures, si elles laissent le lecteur sur sa faim, révèlent tout de même un fait important : la quête n’est plus seulement là pour achever les aventures mais surtout pour prôner l’existence d’une nouvelle chevalerie, dont Galaad serait l’idéal. Le Bon Chevalier apparaît dans ces aventures comme un Christ, réalisant des miracles par sa simple présence. En effet, cette quête tend à rétablir un ordre dans le monde, mettant fin aux phénomènes merveilleux et laissant plus de place à la quiétude. L’achèvement des aventures est d’emblé présenté comme l’aboutissement du récit étant donné qu’il en est question dès le début,[14] mais au-delà des aventures, nous constatons que c’est l’aspect sacré qui est mis en avant, Galaad œuvre comme un chevalier au service de la foi, rétablissant l’Ordre parmi les siens.

Quant aux cinq ans d’errance avant l’arrivée à Corbenic, ils permettent de renforcer l’idée de décentralisation du récit sur les exploits chevaleresques étant donné qu’aucune aventure n’est relatée : «En en toz les cinc anz li tint Perceval compaignie en quel leu qu’il alast. Et dedenz celui terme orent il si achevees les aventures dou roiaume de Logres […] ».[15]

3.2. Le château de Corbenic

Les aventures du Graal touchant à leur fin, les trois élus se rendent au château de Corbenic, lequel abrite le Saint Graal. Une foule se presse pour voir les élus, il semble que le peuple se réjouisse de la fin des aventures pourtant c’est un aspect essentiel au royaume de Logres, du moins dans la littérature arthurienne, qui tend à disparaître : « […] si fu la joie grant et merveilleuse, car il savoient bien que ceste venue faudroient les aventures dou chastel, qui tant longuement i avoient esté ».[16] Une toute dernière aventure attend les chevaliers et c’est encore une fois Galaad qui parvient à la mener à bien. Il n’y a pas non plus d’action c’est juste en tenant l’épée qu’il peut la ressouder :

« Lors prent Galaad les deus pieces de l’espee et ajoste l’une à l’autre. Et maintenant reprennent les pieces si merveilleusement qu’il n’a pas home ou monde qui la briseure qui devant i estoit poïst reconoistre, ne que ele eust onques esté brisiee ».[17]

Encore une fois cette aventure n’a rien de chevaleresque, elle est guidée par le sacré. C’est donc en ce lieu, Corbenic, que les élus auront enfin la révélation qu’ils attendent, ils pourront accéder à une partie des mystères du Graal, qui n’est autre que la récompense pour leur mission accomplie. Les élus sont au nombre de 12, dont 9 viennent de royaumes étrangers, lorsque Josephé apparaît, porté sur une chaise par quatre anges. Josephé est comme on l’apprend au service du Saint Vase : « Ha ! chevalier Damedieu, serjant Jhesucrist, ne vos merveillez pas se voz me veez devant vos einsi com je sui a cest saint vessel ; car aussi come je i servi terriens, aussi i serf je esperitelx ».[18] Josephé s’agenouille et se recueil alors que des anges amènent des cierges, un tissu de soie vermeille ainsi que la lance qui saigne, afin de récupérer une goutte de sang dans le Saint Graal. On retrouve dans cette description des rites sacrés la consécration de l’hostie par le premier évêque de l’Eglise, ce phénomène de transsubstantiation se met effectivement en place durant le XIIe siècle :

« Et quant il i ot demoré un poi, si prist dedenz le saint Vessel une oublee qui ert fete en semblance de pain. Et au lever que il fist descendi de vers le ciel une figure en semblance d’enfant, et avoit le viaire ausi rouge et aussi embrasé come feu ; et se feri ou pain, si que cil qui ou palés estoient virent apertement que li pains avoit forme d’ome charnel ».[19]

Cette information peut nous renseigner peut-être sur l’auteur, prouvant qu’il entretient un lien fort avec l’Eglise, étant au fait de ce procédé récent. Ce partage du corps et du sang du Christ avec les douze chevaliers rappelle bien évidemment la Sainte Cène. Une partie des mystères du Graal est alors révélée aux chevaliers présents : « […] por veoir partie des merveilles dou Saint Graal […] ».[20] Pour le lecteur, ces mystères demeurent assez impénétrables, on apprend juste qu’ils peuvent goûter à la nourriture céleste, mais aucun détail n’est donné. Cela peut s’explique par l’incapacité de l’auteur lui-même à définir clairement ce que peut recéler le Saint Graal. Ensuite, le Christ lui-même s’adresse aux chevaliers et plus particulièrement à Galaad, pendant cet échange, nous retrouvons l’allusion au songe des bœufs, fait par Gauvin[21] et nous apprenons que l’aventure ultime se déroulera à Sarras, car Galaad connaîtra l’entier des secrets du Graal :

« Mes encor ne l’as tu pas veu si apertement com tu le verras. Et sez tu ou ce sera ? En la cité de Sarras, ou palés esperitel, et por ce t’en covient il de ci aller et fere compaignie a cest saint Vessel […] ».[22]

Cette prolepse fait écho aux nombreuses autres présomptions qui jalonnent ce texte, ce procédé demeure fidèle dans l’annonciation des épreuves qui doivent affronter les chevaliers. Le Christ donne une mission à Galaad, comme s’il s’agissait de l’un de ses apôtres. En effet on ressent bien les exigences du Christ lors de sa prise de parole : « ce voil ge / ge ne voil pas / je ne voil… ».[23]

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