Commentaire de texte : L’éducation religieuse d’une fidèle par un prêtre cathare à Montaillou, d’après le registre d’inquisition de Jacques Fournier (1318-1325).
Par Andrea • 17 Janvier 2018 • 5 059 Mots (21 Pages) • 659 Vues
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Mais peu à peu, la femme qui était jusque-là fidèle au catholicisme finit par se laisser influencer par le prêtre et accepte ainsi progressivement la doctrine cathare.
L’insistance du recteur pousse d’abord la fidèle à la curiosité : « je lui demandais comment il pouvait parler ainsi, lui qui était prêtre, alors qu’on dit à l’Eglise que le mariage a été institué par Dieu, et que c’est le premier sacrement, institué par Dieu entre Adam et Eve, par suite de quoi il n’y a pas de pêché quand des époux se connaissent ». (l14-16)
Au Moyen-Âge, l’éducation est principalement religieuse et se fait en grande partie par la prédication et les sermons prononcés lors de la messe. Ici, la femme que tente d’approcher le prêtre compare l’éducation qu’elle a reçue par des catholiques aux projets de Pierre Clergue. En effet, le mariage est un sacrement à part entière pour les catholiques. De plus, tout comme pour la question du célibat des prêtres, c’est durant la réforme grégorienne que l’importance du mariage entre laïcs (fidèles catholiques ne formant pas partie du clergé) a été affirmée. Et cette importance est également rappelée lors des prédications et de l’éducation des fidèles en général, suite à la volonté exprimée par le pape lors du quatrième Concile de Latran (1215) de renforcer l’encadrement des fidèles, justement suite au développement de la vague hérétique à travers la France et l’Europe. Ce qui était du dégoût jusque-là semble peu à peu se transformer en curiosité, et c’est ce que cherchait Pierre Clergue. En effet, une fois la fidèle intéressée par ses propos, il lui sera bien plus aisé de transmettre sa propre doctrine. Bien qu’hérétique, ce prêtre a des talents de prédicateurs indéniables, puisque comme tout curé à la charge d’une paroisse, il a dû suivre une formation spécifique dont le but est de vérifier le niveau des volontaires, dans le but de ne sélectionner que ceux qui ont un minimum de culture, dans la maîtrise du latin par exemple, ou encore dans la capacité à réciter les principaux. Cette formation est une des autres mesures prises lors du Concile de Latran IV, toujours dans le but d’assurer un meilleur encadrement des fidèles par les différents clercs. Ses arguments ont donc eu raison de la fidèle, qui en conclut finalement que « les ecclésiastiques plongeaient les gens dans l’erreur ». (l23)
Mais à travers ce témoignage, nous sentons que la croyance laisse peu à peu place au doute et à l’offuscation. En effet, cette femme qui avait foi depuis « un an et demi » (l56) en la doctrine que lui avait enseignée Pierre Clergue, ne peut s’empêcher de se sentir désemparée lorsque celui-ci s’apprête à commettre un acte de profanation durant une période sainte pour le calendrier catholique.
« Il me connut même charnellement une nuit de Noël, et ce prêtre n’en dit pas moins la messe le lendemain […]. Et quand, cette nuit de Nativité, il voulut avoir des rapports avec moi, je lui dis : « Comment voulez-vous commettre un si grand péché dans une nuit si sainte ? »
Les faits que relate la fidèle se passent donc durant le temps de la Nativité, qui est un temps consacré à la Vierge Marie. Ce temps sacré fait partie du cycle sanctoral du calendrier liturgique, qui est le calendrier tridentin (en référence au Concile de Trente), autrement appelé « liturgie apostolique de Rome ». En effet, l’année liturgique est organisée depuis près d’un millénaire selon un double ensemble de cycles : la commémoration des épisodes de la vie du Christ (temporal) y est entrelacée avec la célébration des saints de l’Eglise catholique universelle (Vierge Marie, apôtres…) et des saints du territoire (sanctoral). C’est le sanctoral qui donne à chaque diocèse son originalité et à chaque pays ses alternances de fêtes et de repos : il a donc un impact important sur les coutumes de chacun. Le temps de la Nativité, que s’apprête à profaner le prêtre, est donc la période la plus importante du calendrier liturgique du point de vue des traditions populaires après Noël (fête de la naissance du Christ), ce qui contribue à expliquer la réticence de la fidèle aux projets du prêtre, malgré sa conversion. En effet, même si sa foi s’est réorientée, il est normal que le chamboulement de ses coutumes entraîne une forme de rejet à l’égard des intentions du prêtre, puisque plus qu’une simple éducation, c’est un mode de vie que celui-ci cherche à modifier. De plus, il est important de noter que cette femme s’offusque lorsqu’elle s’aperçoit que le prêtre ne renonce pas à la messe le lendemain des nuits qu’il passe avec elle. En effet, elle estime qu’il devrait se confesser, car comme l’on ordonné les réformes grégoriennes, un prêtre ne doit en aucun cas connaître une femme de manière charnelle, il doit rester célibataire. Enfin, nous pouvons conclure cette partie en notant que cette femme est consciente de la manipulation dont elle a été l’objet : « il m’influença au point que dans l’octave des saints Pierre et Paul je me donnais à lui une nuit chez moi » (l54-55). Ici nous voyons qu’elle se rend compte que son recteur a abusé d’elle (puisqu’elle parle d’ « influence » durant une période sainte du cycle sanctoral, puisque les octaves sont des périodes de huit jours consécutifs durant lesquels l’office est principalement consacré au saint fêté. Nous en venons donc à dire que si Pierre Clergue a bien converti la fidèle au catharisme, celle-ci n’a pas pour autant perdu toute sensibilité vis-à-vis du respect des coutumes, définies par les différents temps du calendrier liturgique catholique.
Mais toutes ces étapes, qui ont abouti à la conversion de la femme qui fait l’objet du témoignage présenté dans cet extrait du registre d’inquisition de Jacques Fournier, sont le résultat d’un travail méticuleux de méthode et d’argumentation, introduit par l’hérésiarque à sa fidèle.
A travers cette partie, nous nous pencherons sur l’aspect méthodique et argumentatif du discours du prêtre, afin de comprendre quels sont les éléments qui ont pu rendre crédible la contradiction de l’intégralité d’un enseignement transmis à une fidèle depuis son plus jeune âge. Ici, nous nous concentrerons donc d’avantage sur le prêtre de Montaillou.
Dans un premier temps, il est aisé de constater que le prêtre se montre insistant, et que ses avances sont répétées, ce qui a principalement pour effet d’attirer l’attention et l’intérêt de la personne à convertir. « Il m’embrassa, me disant qu’il n’y avait femme au monde qu’il aimât autant que moi. […] Plus
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