Commentaire composé (CNED)
Par Christopher • 22 Avril 2018 • 2 193 Mots (9 Pages) • 534 Vues
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En somme le prince n’accepte pas de se faire passer pour un subalterne, il ne joue pas le jeu que lui-même a pourtant décidé et il refuse de se laisser donner des ordres par son valet comme il le signifie dans cette antiphrase (l.10) « je voudrais bien qu’un maraud comme toi se mêlât de me donner des ordres ». L’allitération en [ m ] que l’on perçoit peut faire penser à la rogne ressentie par le prince. Ce dernier passe du sentiment d’humiliation à celui de la colère exprimée dans ce champ lexical de la guerre que l’on relève (l.8) « affront », (l.10) « donner des ordres », (l.11 ) « aide de camp », (l.14) « déclarer la guerre », « mes Etats » (l.15) «à la tête de mes armées », (l.19) « près à mourir », (l.20) « furieux ».
C’est alors que Marinoni cherche à calmer son maître par des paroles de soumission telles que (l.7) « vous m’ordonnez », (l.12) « c’est par votre ordre que j’agis, (l.19) « si mon souverain l’exige je suis prêt à mourir pour lui ». Mais déjà dès sa première réplique (l.2) « votre Altesse se trompe sur mon compte de la manière la plus pénible ». Au pronom « tu »utilisé par le prince qu’on imagine le doigt pointé sur son serviteur, Marinoni cherchant à rassurer son maître répond par « Votre Altesse » suivi de la troisième personne, formule d’extrême déférence mais y ajoute une notion affective avec « de la manière la plus pénible », formule emphatique. Le serviteur veut rappeler à son maître leur relation de confiance, car il se considère sans doute un peu comme son confident. Et leur relation a effectivement dépassé le cadre maître-valet puisque le prince lui-même s’adresse à Marinoni par ces mots (l.3-4) « je te confie […] toi, mon meilleur ami, mon plus fidèle serviteur. »
Cette relation cependant reste compliquée, car la situation dans laquelle se trouve Marinoni est ambiguë, du fait de l’échange de costume, ceci déstabilise en effet les deux personnages. D’où l’importance du costume à cette époque. L’aide de camp l’exprime d’ailleurs lui-même ligne 11-12: « Considérez Altesse, qu’il faut cependant que je sois le prince ou que je sois l’aide de camp », (l.19) « Marinoni ôtant l’habit », (l.24) « Marinoni tenant l’habit. Que ferais-je Altesse? ». Cette attitude est provoquée par l’indécision du prince, (l.18) « rends-moi mon habit » puis (l.25) « remets-le, remets-le ». Cela confirme l’instabilité du prince et le fait qu’il n’arrive pas à se décider, à savoir s’il veut continuer son jeu ou revenir à son rang : (l.20-21) « Je ne sais que résoudre. D’un côté je suis furieux de ce qui m’arrive; et, d’un autre, je suis désolé de renoncer à mon projet ». Et le caractère ambivalent du prince survient à nouveau lorsqu’il associe son serviteur à ses projets: (l.23) « réfléchissons à tout cela », (l.25) « rentrons au palais »; alors qu’il lui avait retiré la parole quelques instants auparavant avec (l.18) « il suffit ». On remarque que les répliques du prince sont plus courtes, manifestant une suite d’idées qui se bousculent dans sa tête. On note également une allitération en [ r ] exprimant la réflexion qui se prolonge dans « résoudre, arrive, renoncer, paraît, répondre, réfléchissons, remets-le, remets-le, rentrons » de même qu’une allitération en [ p ] rappelant le [ p ] du projet qui pose problème (l.21) « projet, princesse, paraît pas répondre, poursuivre, parvenu ».
Nous remarquons par conséquent que le costume a ici une grande influence dans le comportement des uns à l’égard des autres : (l6-7) « Comment pouvais-je empêcher votre Altesse de s’attirer les désagréments qui sont la suite nécessaire du rôle supposé qu’elle joue? » et (l.17) « Prétendez-vous qu’on vous respecte sous ce déguisement? ». En effet ces deux phrases prononcées par Marinoni illustrent bien l’idée qu’un serviteur ne doit pas s’attendre à être révéré étant donné sa position sociale et que la réaction du roi de Bavière était bien méritée. Il y a ici une allitération en [ s ] qui accentue la douceur et la délicatesse dont veut fait preuve Marinoni, embarrassé, lorsqu’il justifie l’affront du roi fait à son maître : (l.16-17) « songez, Altesse, ce, s’adressait, prince, respecte, sous ce déguisement ». C’est pourquoi il utilise un euphémisme à la ligne 16 avec l’expression d’atténuation « mauvais compliment » dans la phrase ligne 16 « Songez donc, Altesse, que ce mauvais compliment s’adressait à l’aide de camp et non au prince. » Tout au long de cette scène Marinoni tente de temporiser le prince et de lui faire comprendre que tout est la conséquence de leur échange d’habit, il l’exprime clairement ligne 6 et 7: « […] les désagréments qui sont la suite nécessaire du rôle supposé qu’elle joue. »
Il suffit donc de changer de costume pour paraître différent! Marinoni enfile l’habit de son maître et aussitôt il se prend pour un prince: (l.9) « vous aviez tort de vous mêler de nos affaires », lance-t-il au prince. Le pronom possessif « nos », insiste sur le fait que Marinoni se pense du côté du roi. L’auteur montre bien par là, la distinction qui existe entre les « grands » et les « petits » du royaume, et que le comportement ainsi que la considération qu’on a des uns ou des autres sont liés à la place occupée dans la société, or c’est l’habit qui en témoigne. Dans ce sens on observe deux champs lexicaux concernant la position sociale, le premier sur la noblesse : « Altesse, prince, roi, princesse, la cour, souverain, palais » et le second ayant rapport avec le peuple: « serviteur, aide de camp, maraud » . D’ailleurs Marinoni parle de « déguisement » pour désigner son costume d’aide de camp qui peut paraître ridicule, tandis que le prince répond par « mon habit », substantif à connotation valorisante.
Dans Fantasio, comédie des plus brillantes et fantaisistes, mise plus tard en musique par J.Offenbach dans un opéra du même nom, A. de Musset est certainement inspiré par W. Shakespeare chez qui l’on trouve toujours un personnage ridicule et fantoche comparable au prince de Mantoue, ou bien un esprit pertinent et poétique tel Fantasio. Le thème du travestissement est également commun aux deux dramaturges qui ne cherchent pas seulement à divertir mais qui dénoncent aussi des travers de la société en la mimant. Ainsi Musset fait prendre conscience au spectateur que le « costume » occupe une place importante et que l’on n’est pas un prince seulement parce qu’on revêt un habit de prince mais qu’on devrait mériter son titre.
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