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Commentaire, Le rouge et le noir, Stendhal

Par   •  29 Novembre 2018  •  2 563 Mots (11 Pages)  •  759 Vues

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« il chercha vainement Julien à la place qu’il aurait dû occuper » (l.6). Le conditionnel « aurait dû » montre ici les attentes du père auquel le fils ne répond pas. En cela, il fait figure d’étranger, au sein même de sa famille et de son milieu d’origine. La description du travail à la scierie dans le premier paragraphe, la précision de la tâche effectuée par les deux frères (l.3-4), ainsi que les indications du bruit qui envahit l’usine soulignent aussi à quel point Julien est en décalage dans sa position surplombante, « cinq à six pieds de haut » (l.8) et en train de lire : « Julien lisait » (l.7). Rejeté et méprisé par les siens, il s’en éloigne et les surpasse malgré tout, ce que souligne sa position plus élevée.

Tout oppose le père et le fils que ce soit leur physique ou leurs goûts. Cette scène nous montre que Julien est un penseur inactif dans ce monde du travail manuel. Il aime la « réflexion » (l.31) la nourrit par la lecture et la fréquentation du curé, homme lettré. Julien aime lire et les livres sont pour lui objets d’affection : les verbes « adorait » (l.22) et « affectionnait » (l.28) expriment sa passion pour la littérature. A l’opposé, le livre et la lecture sont un monde inconnu du père de Julien. Il ne sait pas lire (l.10) et hait de toutes ses forces ceux qui maîtrisent ce savoir. Le narrateur exprime cette haine par des superlatifs et des adjectifs sans ambiguïté dans les expressions « rien n’était plus antipathique au vieux Sorel » (l.8) « cette manie de lecture lui était odieuse » (l.9). Les premiers mots qu’il prononce disent son mépris pour la lecture synonyme de paresse comme le souligne l’adjectif « paresseux » (l.18) où son fils ne fait que « perdre son temps » (l.19). Le premier coup décoché par le père atteint d’ailleurs le livre. Ce geste prend donc ici une forte valeur symbolique. En effet, le père ne contrôle pas ce que son fils fait et sait. C’est en cela que la lecture représente une activité intellectuelle subversive.

Julien « pensif » (l.36) depuis « sa première jeunesse » (l.35) est considéré par son père comme une « charge à sa famille » (l.37). Par sa lecture, il s’enfuit dans son monde, fait sécession et nie les valeurs familiales, alors qu’il devrait participer, comme ses deux frères, à l’activité manuelle. L’autorité que son père fait peser sur lieu est vécue comme une injustice et comme la négation de ses qualités propres, tournées en dérision puisqu’il est « Objet des mépris de tous » (l.37). Julien hait (l.37) ses frères et son père. Plus que les coups et le mépris qu’ils lui font subir, il rejette le monde et les valeurs qu’ils incarnent. Julien, lecteur admiratif

du Mémorial de Sainte-Hélène (l.28) rêverait, comme son idole Napoléon, de mettre un terme à cet ordre ancien. L’Empereur représente une rupture et l’accession au pouvoir d’une nouvelle et jeune génération.

Commentaire de l’extrait de Le Rouge et le noir (suite)

Julien est donc, sur bien des points, en rupture avec son milieu familial auquel on voit bien qu’il n’est pas adapté. C’est en effet un étranger au sein de sa famille qui ne suscite que du mépris chez son père et ses frères. Qu’il s’agisse de son goût pour la lecture et la réflexion que de ses valeurs, il est en totale rupture avec sa famille. Son portait physique et moral vient ainsi compléter cette opposition.

Le portrait de Julien se fait par opposition aux portraits de ses frères et de son père. Assez petit et fluet, doté d’une « taille mince » (l.11), « svelte et bien prise [qui] annonçait plus de légèreté que de vigueur » (l.35), il paraît bien faible à côté de ses frères, qui sont tout simplement deux « espèces de géants » (l.2). De même, le père est un titan. Sa force se traduit d’emblée par sa voix forte : une voix de « stentor » (l.1), mais aussi par les coups qu’il porte aisément à son fils et la façon dont il le sauve alors qu’il aurait pu tomber dans la machine : « mais son père le retint de la main gauche, comme il tombait» (l. 17). Les traits « délicats » (l.30) de Julien laissent apparaitre une finesse d’esprit en totale opposition avec la rudesse de ses colosses de frères. A la brutalité et la violence de son père s’oppose la sensibilité de Julien comme en témoignent les larmes qui coulent de ses yeux après la « perte de son livre» (l.21-22) et la tristesse qui s’empare de lui quelques lignes plus loin. Dans l’univers viril de la scierie, pareil physique et pareille sensibilité sont un handicap et lui valent le mépris.

Pourtant, la faiblesse pourrait bien n’être qu’apparente. Le narrateur laisse entrevoir une force chez Julien qui n’est, nous dit-il, « faible [qu’] en apparence » (l.30). On a pu remarquer que ses larmes (l.21) étaient dues à la perte de son livre et non à la douleur physique à laquelle il résiste, sans doute par fierté ou orgueil. Une sombre énergie semble l’animer. Si les traits de son visage sont « irréguliers » (l.30), il présente un profil « aquilin» (l.30) et ombrageux. Ses « yeux noirs » (l.30) et ses joues « pourpres » (l.29) témoignent d’un tempérament sanguin qui contient (retient) sa colère, le rouge et le noir faisant écho au titre du roman. Ses yeux luisent « de la haine la plus féroce » (l.32). Ses cheveux, « plantés fort bas » (l.32), lui donnent un « air méchant » (l.33) tout à fait antipathique. Sa petitesse et sa sveltesse le condamnent, tant qu’il est contraint de vivre dans sa famille, à ravaler ses larmes de colère. Julien ne parle pas dans ce passage. Ce silence, dû à l’autorité et à la violence paternelle à laquelle il ne peut répondre, ne fait sans doute qu’attiser la colère du jeune homme qui ne peut l’exprimer par des mots. Le portrait final de Julien montre donc que le personnage est porteur d’une révolte intérieure. Lui aussi hait : « il haïssait ses frères et son père » (l.37). C’est ce qui fait sa force. C’est ce qui fait la singularité de ce personnage, battu mais indomptable (à la différence de ses frères qui exécutent les ordres paternels sans broncher).

En cela Julien peut sembler napoléonien : il est mu par une rage et une violence souterraines d’autant plus fortes qu’elles sont retenues. Julien incarne ici la révolte des jeunes de sa génération contre un ordre ancien. Le sous-titre du roman, « Chroniques de 1830 », place l’action en pleine période romantique (voir : Le romantisme et le mal du siècle). Les jeunes romantiques sont condamnés parce qu’ils sont nés une génération trop tard, bien après le désastre de Waterloo. Les vieilles idées et les vieillards sont revenus

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