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Les espaces patrimonialisés dans les villes françaises : acteurs, enjeux, conflits

Par   •  21 Avril 2018  •  5 618 Mots (23 Pages)  •  627 Vues

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La notion de patrimoine renvoie étymologiquement à l’idée d’un héritage matériel du passé. Elle est en outre souvent associée à un « bien commun » impliquant un consensus social. Enfin, elle entretient un lien de plus en plus étroit avec l’idée de valorisation touristique des éléments remarquables d’un territoire, ce que la mise en tourisme des sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO illustre singulièrement. Le patrimoine est donc un objet en proie à différentes stratégies d’acteurs qui l’utilisent pour appuyer des projets urbains, renforcer des identités. En France, le contexte de décentralisation et la concurrence des villes pousse les collectivités territoriales à se construire une image attractive, et le Havre ne fait pas exception. Comptant parmi les villes les plus touchées par les bombardements au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Havre a fait l’objet d’un projet de reconstruction porté par des acteurs essentiellement exogènes, à savoir l’architecte Auguste Perret soutenu par « une élite intellectuelle et l’Etat » (Gravari-Barbas, 2004) sous la forme du Ministère de la Reconstruction. Son plan d’urbanisme moderne a redessiné totalement le visage de 150 hectares du centre-ville, ainsi que de quelques monuments importants. Au total, la reconstruction du centre-ville du Havre s’est déployée sur près de vingt ans (1947-1965), et, contrairement aux reconstructions soucieuses de recréer un paysage urbain d’avant-guerre dans d’autres villes ou, au moins de respecter le parcellaire d’avant-guerre (Saint-Malo par exemple), c’est le parti-pris de la table rase qui a été pris par Perret au Havre : « le passé est bien détruit, nous ne pouvons le refaire » (le 26 Septembre 1945 au Havre). Le passage au XXIème siècle a fait entrer dans l’histoire toute l’architecture moderne du XXème siècle (Gravari-Barbas, 2004), et du même coup a été l’un des éléments qui a permis la patrimonialisation du centre-ville du Havre. De plus, il y a eu l’adoption par les acteurs locaux et nationaux d’un « vocabulaire-UNESCO » afin de construire non plus seulement nationalement, mais aussi internationalement, l’image du Havre comme incarnation de la modernité. C’est donc comme témoignage de l’architecture moderne du XXème siècle (critère IV) et comme mise en œuvre pionnière de méthodes et matériaux de construction inédits comme le béton armé (critère II) que le Havre s’est vue inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005. Qu’il s’agisse du patrimoine urbain, naturel ou industrialo-portuaire, la diversité apparente des patrimoines havrais est unifiée par le recours à des échelles plus petites de légitimation (nationale, européenne, mondiale) pour valoriser le local sous l’étiquette « patrimoine ». Ce jeu d'échelles est donc un mécanisme essentiel. Le centre-ville Perret est un exemple emblématique de valorisation d’un patrimoine qui, dès lors, n’est plus seulement local, mais mondial, puisqu’inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis le 17 juillet 2005. Cette logique de mise en patrimoine s’est poursuivie dans le cas du Havre par la tentative de construire un patrimoine comme projection dans le futur. En effet, dans le même mouvement de patrimonialisation, la ville du Havre a eu recours en 1982 à l’architecte Oscar Niemeyer pour construire la salle de spectacle Le Volcan. Le recours à un tel architecte peut être interprété comme la volonté de se doter d’un nouveau symbole, potentiellement patrimonialisable dans le futur, de se créer un patrimoine ex-nihilo, pour la ville détruite par la Seconde Guerre mondiale. Le patrimoine est bel et bien construit et le passage par de grandes interventions architecturales peut se lire comme des tentatives pour générer davantage de patrimoine. Le Havre étant prévu dès sa conception en 1517 avant tout comme une ville-port, l’héritage portuaire et industriel a également fait l’objet d’une forme de valorisation patrimoniale. Bien que les vestiges de l’héritage industriel et portuaire soient partout présents au Havre, la reconnaissance de cet héritage est un phénomène récent, lié aux mutations de l’activité portuaire et de la perception du patrimoine. Après les Trente Glorieuses, la crise industrielle qui a mené au départ de l’activité portuaire loin du centre-ville entérinant par une séparation physique, une séparation qui était déjà fonctionnelle, a frappé durement les Havrais pour qui l’activité portuaire était emblématique de l’économie et de l’identité de la ville (Gravari-Barbas, 2004). Les élus municipaux mis devant la nécessité de traiter les friches industrielles laissées par le départ du port de la ville, ont choisi de revaloriser l’identité portuaire de la ville, à travers les traces qui en subsistaient, plutôt que de les effacer. Cette revalorisation s’est faite à travers la réutilisation de symboles existants, mais aussi à travers la création de nouveaux symboles de l’identité de la ville, à l’image du conteneur qui incarne la mutation réussie du Havre - aujourd’hui premier port à conteneurs de France - face aux enjeux de la maritimisation des échanges. On est donc face à une autre facette du marketing urbain havrais, qui associe des traces du passé (des bâtiments désaffectés qui sont réaffectés à de nouveaux usages) et un symbole du présent (le conteneur).

Le patrimoine, nous l'avons vu, a une valeur et une importance culturelle, identitaire, indéniable pour les populations concernées, d'où la nécessité de le préserver au mieux, et la création de zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), en prolongement du secteur sauvegardé qui couvre le centre historique initial. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue un problème assez récurrent du patrimoine urbain, c'est son intégration dans l'espace de la ville. Il ne faut pas négliger les acteurs et les enjeux qui lui sont propres. La préservation d’un patrimoine à la fois naturel et urbain dans une logique de développement durable est par exemple quelque chose de très ambigu. Si le développement durable apparaît comme une logique de l’avenir, une préservation des ressources présentes pour le futur, elle passe cependant par un désir de retour à des traditions ou des pratiques culturelles plus anciennes. Au Havre, il existe également un patrimoine naturel. La ville se situe sur le territoire de l’estuaire de la Seine, avec plusieurs milliers d'hectares de zones humides, et est classé depuis 1997 comme réserve naturelle nationale de France, avec une extension du territoire en 2004. En 1999, la gestion de cette zone d’interaction entre éléments naturels (la mer,

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