Adenauer et De Gaulle, une relation franco-allemande, 1958-1963
Par Matt • 16 Novembre 2017 • 8 794 Mots (36 Pages) • 901 Vues
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A son retour au pouvoir en juin 1958, de Gaulle avait avant tout pour objectif de renforcer les relations de la France avec l’Allemagne, tout en restant fidèle à son postulat d’Etat-Nation. De Gaulle était partisan d’une relation tout d’abord purement bilatérale.
De Gaulle voyait dans le processus de la construction européenne une occasion de jouer le rôle de médiateur tant espéré sur la scène internationale. En effet, pour ce dernier, les pays d’Europe doivent constituer une confédération de nations, capable de jouer un rôle sur la scène mondiale et de défendre ses propres intérêts face, en pleine Guerre Froide, aux blocs soviétiques et américains.
Pour le moins hostile aux conceptions supranationalistes, il rassure ses partenaires, lorsqu’à son retour au pouvoir il fait savoir que la France honorera les engagements contractés lors de la signature du Traité de Rome en mars 1957 (institution de la Communauté économique européenne (CEE) et le Marché commun, ainsi que la Communauté européenne de l’énergie atomique ou Euratom).
De Gaulle plaide en faveur d’une Europe des Etats. Il refuse d’envisager une organisation politique qui impliquerait abandon, quel qu’il soit, de la souveraineté française, s’opposant ainsi aux conceptions supranationalistes de ses adversaires. De Gaulle est favorable à ce qu’il appelle une « Europe européenne », c.à.d. centrée sur elle-même et capable d’assurer sa propre défense militaire, indépendamment des Etats-Unis. C’est ce qui amène la France à rejeter la ratification du traité sur la CED, d’inspiration supranationaliste.
Pour de Gaulle, « l’Europe doit trouver sa place dans l’architecture du monde qui se dessine ». En cela, la construction européenne apparait comme une réelle nécessité à la fois pour l’influence de la France et pour la paix. Il apparait très clairement à de Gaulle que pour faire face aux super puissances, il faut développer une union toujours plus étroites entre les peuples européens[3]. A partir de 1959, à l’initiative de Gaulle et en accord avec les Six (Italie, RFA, France, Benelux), se tiennent dès novembre 1959, des réunions trimestrielles régulières avec les ministres des affaires étrangères.
Dès janvier 1959, grâce au Plan Pinay-Rueff, la France commence à appliquer les mesures préconisées par le Traité de Rome et baisse de 10% ses droits de douane. Ce Plan constitue une rupture dans la politique commerciale, jusqu’alors marquée par une forte tradition protectionniste. Il s’agit donc là d’ouvrir les marchés hexagonaux sur l’extérieur et de dynamiser ainsi l’économie du pays.
Le général de Gaulle plaide également en faveur d’une politique agricole commune (PAC) et il agit de manière déterminante. Ce que l’on appelle « le marathon agricole » de 1961 permet de sceller les premiers accords.
En ce qui concerne l’arme nucléaire, de Gaulle revendique pour la France de grandes responsabilités à l’échelle mondiale, cherchant à introduire la France au sein du cercle des puissances nucléaires et ainsi marquer la différence de statut de la France par rapport à l’Allemagne fédérale. C’est dans cet élément que naquit un autre antagonisme entre la France et la RFA.
En République fédérale d’Allemagne, Adenauer
Pour Konrad Adenauer, la réalisation d’une Union politique de l’Europe restait l’objectif clé de la politique étrangère allemande.
Dans le même temps, en 1958, à 82ans, Konrad Adenauer est le maître incontesté d’une Allemagne qui s’est dotée d’un régime démocratique, et connaît à présent un fabuleux essor économique. Pourtant le vieux chancelier est inquiet. Il est vrai que la menace soviétique sur Berlin se fait de plus en plus pesante, et que le drame algérien et la faiblesse des institutions entretiennent une instabilité politique.
Pour la RFA, seul le maintien de liens étroits avec la puissance américaine pouvait contrecarrer la menace soviétique et son attitude agressive. C’est un conflit d’intérêt qui allait ressurgir assez régulièrement face à un de Gaulle qui s’évertuait à vouloir faire de l’Europe une troisième force fondée sur une coopération très étroite franco-allemande. On peut légitimement considérer que la RFA avait conscience (contrairement à De Gaulle) de la surestimation du poids de la France et de sa capacité à jouer un rôle moteur dans ce processus.
Pour Konrad Adenauer, « la construction d’une Europe unie était une nécessité absolue »[4]. L’idée européenne avait très rapidement gagné du terrain en Allemagne, surtout dans la jeunesse puisque c’est essentiellement par elle que l’idée de collaboration et d’amitié franco-allemande avait été acceptée.
A la suite de la rencontre entre les deux hommes à Colombey-les-deux-Eglises, de Gaulle et Adenauer publièrent un communiqué qui témoigne d’une conviction commune quant au rôle primordial de la coopération franco-allemand dans une Europe unie, qui doit s’étendre au plus grand nombre possible d’Etats européens.
Cette garantie, que les occidentaux (rappelés à leur décision par l’intransigeance du Général) ne céderont pas aux Soviétiques, c’est le ciment même de l’union Adenauer-De Gaulle.
De la défiance à la confiance, et le rôle de la rencontre du
14 et 15 septembre 1958
Avant le retour de de Gaulle au pouvoir, Konrad Adenauer n’était guère rassuré. Car enfin, que sait-on du Général ? Ce nationaliste qui incarnait la résistance française durant la seconde guerre mondiale a été à la fois le signataire du traité d'amitié franco-soviétique de décembre 1944, l'homme qui a conçu un plan de démantèlement de l'Allemagne, et ensuite l'un des adversaires les plus acharnés de la Communauté Européenne de Défense.
Il est vrai que d’un point de vue germanique, de Gaulle représente en outre un opposant à l'OTAN. Il apparait donc hostile aux fondements mêmes de la renaissance et de la sécurité allemandes. De plus, les deux premiers tomes de ses Mémoires de Guerre, alors déjà disponibles, ne laissaient aucun doute quant aux fondements de sa politique ; ce qui ne risquait pas de rassurer les allemands et les réserves éprouvées. De plus, le portrait du Général de Gaulle décrit par les proches du Chancelier n’est guère rassurant. C’est ce que relate Konrad Adenauer dans ses Mémoires « […] quand une idée le possède, les faits sont impuissants à l’en détourner.
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