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LA JEUNESSE ET LA FORMATION DU JUGEMENT – NIETZSCHE

Par   •  26 Octobre 2018  •  1 889 Mots (8 Pages)  •  367 Vues

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raide. L’expérience, les événements, tout ce qui arrive à l’être humain est

toujours plus complexe que ce qu’il commence par en penser sommairement. La vie ne se réduit

pas à ce qu’on en pense, et souvent elle trouble, inquiète la pensée. La pensée se heurte à

l’impensable, à l’indicible. Les événements, les émotions et les sentiments, les idées mêmes qui

nous viennent ne sont pas immédiatement compréhensibles, le sens des choses est souvent

initialement obscur, étrange. L’inquiétante étrangeté des situations nouvelles est tour à tour

source d’angoisse et d’exaltation.

C’est pourquoi la jeunesse ne peut que payer cher son goût de l’absolu, et se faire berner,

maltraiter par le monde et la vie. Constituer un monde qui corresponde à ses désirs, au lieu de

le considérer tel qu’il se présente, engendre une déception inévitable. L’intransigeance de la

jeunesse ne peut tenir longtemps face à une réalité qu’elle dénature, falsifie. Dénaturer le réel

revient à en nier la nature complexe et changeante, en lui substituant une représentation brutale

faite d’oppositions simples, des jugements figés et tranchés parce qu’ils reposent sur des

sentiments bruts, subis, non travaillés, déterminés par notre nature-même. La complexité de la

vie force l’être humain à penser, à remettre en question ses tendances extrémistes. Le

dogmatique n’apprend rien de la vie car il maintient une pensée sourde aux mille nuances de

l’existence, aux contradictions qui la peuplent. Les choses ne sont pas réductibles à des

définitions et des qualités ou défauts simples. De ce point de vue le goût de l’absolu, s’il persiste,

est amer, car il finit par engendrer un ressentiment contre la vie, laquelle ne se plie jamais au

oui ou au non, aux oppositions tranchées.

Il faut donc que la jeunesse apprenne l’art de la nuance. Nietzsche use ici de la notion d’art, en

plusieurs façons. Art de la nuance, art dans les sentiments, artificiel, artistes de la vie. L’idée

directrice de l’auteur est que l’accès à la vérité passe par l’artificiel. Ce dernier terme est ambigu.

Il peut laisser à penser qu’il faille se livrer à une pratique de la feinte, du mensonge, de

l’apparence. Mais si cela était, on ne comprendrait pas pourquoi Nietzsche opposerait un

mensonge à un autre mensonge, ou, tout du moins, à une erreur liée au goût de l’absolu. Il faut

donc lire autrement la proposition de l’auteur. Si l’idée d’artifice peut avoir une connotation

négative, lorsqu’on l’oppose à l’idée de naturel entendu dans le sens de pureté sans détour, de

spontanéité, l’artifice est aussi ce que l’être humain produit, par-delà le simple naturel, pour

vivre. L’artifice est ce que l’être humain doit à son art. Ainsi, l’art, en général, permet de se

protéger contre ce que la vie peut avoir de brutal, de chaotique, de menaçant afin de le réassumer

dans une représentation supportable. L’art ressaisit le monde de la vie dans tous ses aspects, les

plus exaltants, comme les plus terrifiants, mais comme à distance. Que peut signifier alors

apprendre à mettre un peu d’art dans ses sentiments, devenir comme les artistes de la vie ? Il

ne s’agit plus de l’art des œuvres d’art, mais de l’art de la vie. Cet art invite à assumer la vie en

son entier, inconditionnellement, à apprendre à sentir ce qu’il y a de complexe, de contrasté, de

contradictoire dans toute expérience des gens et des choses, d’en éprouver la valeur par-delà les

réactions immédiates. Le monde est le produit de l’être humain, cependant, par-delà les

catégories mentales grâce auxquelles l’être humain l’a construit, il n’est pas une représentation

fixe mais une réalité mouvante, toujours plus complexe, imprégnée de vie, et il sollicite autre

chose qu’un oui ou un non, mais plutôt un oui et un non, parce qu’il est toujours habité par des

forces et valeurs qui s’opposent. Il n’y a donc pas lieu de retenir tel aspect plutôt que tel autre,

de décréter que l’un est vénérable, ou de rejeter l’autre comme méprisable. Les sentiments d’un

artiste de la vie sont suffisamment forts pour se laisser instruire par l’entrelacs des forces et

valeurs contraires, se faire aussi bien disponible à ce qui, en première approche, se montre

étrange, étranger, inquiétant, et ne pas le craindre. Un artiste de la vie sait que ses propres

sentiments sont eux-mêmes contradictoires et il ne craint pas de découvrir, par exemple, que

son amour peut devenir haine, et que ce qui ne répond pas immédiatement à son désir n’est pas

nécessairement dépourvu de valeur, et peut s’avérer avec la patience de l’expérience,

profondément instructif, source de grandes satisfactions. Telle est l’exigence de toute éducation,

qui demande à se familiariser longtemps avec toutes choses, qui demande une patience

essentielle, gage d’une compréhension vraie, pénétrante des gens et des choses. L’artifice

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