Quelle est la finalité de l'institution politique?
Par Andrea • 23 Avril 2018 • 2 026 Mots (9 Pages) • 685 Vues
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La domination est donc bien employée en politique, mais il faut qu’elle soit précisément une technique, un art qui s'effectue selon certaines règles, regardant notamment sa durée dans le temps. Dans le domaine politique, il doit agir selon ce que requièrent les circonstances. A cette fin, il ne doit pas simplement user de tous les moyens en vue de ses fins mais surtout agir de manière à être toujours loué. Ainsi il doit apprendre à paraître moral sans l'être réellement. Voilà pourquoi il « tâchera d'être tout à la fois renard et lion : car, s'il n'est que lion, il n'apercevra point les pièges ; s'il n'est que renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a également besoin d'être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. » Tout l'art de celui qui détient le pouvoir, que ce soit un individu ou une assemblée, sera donc non uniquement de dominer mais aussi de manipuler.
S'il y a dans les faits toujours une part de domination dans l'exercice du pouvoir politique, peut-on dire pour autant que celle-ci s'y réduise, qu'elle n’est que cela ? Non, on a vu qu'en plus de la simple domination des sujets, celui qui détient le pouvoir devait savoir aussi les manipuler. Mais en plus, la domination n'est légitimée peut-être que dans une situation bien précise, une situation où des dangers extérieurs et intérieurs à l'Etat menacent son indépendance. Ce n'est donc pas tant une situation politique que pré-politique, situation d’exception dans laquelle la scène où se déroule normalement l'activité politique régulière n'existe plus. Ce n'est donc pas la politique qui se réduit à l'art de la domination, même si celui-ci existe il n’intervient pas dans des situations ordinaires, mais bien la guerre, ou plutôt l'établissement d'un état politique à partir d'un état de guerre, ce qui peut être mis en parallèle avec la conception de la formation de l’Etat selon Hobbes, passant d’un état de nature à un état civil par le sacrifice des droits naturels, la puissance, au profit d’un seul pour arrêter cet état de guerre civile constante et insoutenable.
Quelle est alors la technique à laquelle se réduit la politique ? Que peut-on appeler l'art politique si dans les faits il est très difficile de se comporter moralement en fonction du bien commun dans le domaine politique ? N'est-ce pas justement de transformer les volontés de chacun, de dominer les autres en des volontés qui participent à la liberté de tous ?
Si l'on admet le point de vue selon lequel tous les individus sont guidés par leur propre intérêt, il y en aura toujours qui, au sein de la communauté politique, voudront dominer les autres. Comment, à partir de là, nier que la politique soit l'art de dominer pour ne pas être dominé ? Cela implique que dans tout groupement humain on puisse retrouver deux types d'individus : ceux qui veulent dominer les autres, et ceux qui veulent seulement échapper à la domination des autres. Ce rapport de force entre les deux partis est-il dommageable pour la Cité, la condamne-t-elle à n'être qu'un rassemblement de maîtres et d'esclaves, les uns dominant les autres ? Bien au contraire, en effet, en confiant par exemple les institutions qui ont pour charge de contrôler le respect des lois et constitutions au peuple, en tant que ces lois garantissent sa liberté, il sera toujours animé du désir de respecter son devoir. De même, tant que cela ne provoque aucune violence publique, le droit d'accuser tout un chacun, c'est-à-dire de le traduire en justice, est aussi une source de conflits bénéfiques à la liberté car elle oblige les puissants à respecter la loi. C’est uniquement lorsque le peuple lui-même a perdu son désir de ne pas être dominé que l'on peut dire que l'Etat est corrompu et que la domination d'un tyran devient légitime et possible.
Qu’est alors l'art essentiel à la politique ? L'art de dominer ? Non, on a vu qu'il n’est nécessaire que dans les régimes exceptionnels: s'il peut être nécessaire, il n'est pas pour autant essentiel. La technique politique consiste à savoir tirer parti des conflits, des intérêts divergents et des rapports de force qui existent dans tout groupe humain pour qu'ils aillent dans le sens du bien commun et de plus de liberté. C'est ce que remarque Spinoza: ce qui est le plus favorable à un Etat c'est ce qui le rend plus puissant, plus indépendant, donc plus libre. Mais comment y arriver puisque chaque individu de cet Etat conserve son intérêt personnel ? Par l'exercice de la puissance publique, qui fait craindre la punition de la loi, mais surtout par des moyens indirects qui rendent le comportement rationnel, adéquat à la loi, plus favorable pour l'intérêt individuel. Ainsi, dans la Cité, il n'existe que de l'autorité, et non de la domination, sans pour autant demander aux individus à renoncer à leur intérêt personnel (ce qui est impossible à faire). Tel est l'art politique essentiel : savoir transformer des intérêts et des rapports de force qui tendent vers la domination en des comportements qui tendent vers la liberté de chacun et de tous.
S’il semble réaliste de penser que la politique est bien plus un art de la domination que de l'autorité, qui s'exerce en fonction du bien de celui qui est dirigé, cette distinction a permis de voir qu'une situation où il n'y aurait que de la domination ne mériterait pas le nom de politique, et serait en réalité en marge du fonctionnement ordinaire d’une communauté. S'il y a une technique propre à la politique, ce serait précisément celle qui consiste à transformer les envies de domination de chacun en force allant vers plus d'égalité et plus de liberté.
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