Cancérologie et relationnel
Par Andrea • 2 Mai 2018 • 2 535 Mots (11 Pages) • 545 Vues
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et lui parle de ce produit que je lui injecte. C’est un liquide très impressionnant de visu car il est rouge vif. Je lui explique alors qu’en rentrant chez elle, les urines seront rougeâtres, mais qu’elle n’aura pas à s’inquiéter en pensant qu’il s’agit de sang, car ce sera l’EPIRUBICINE qui aura teinté les urines. Elle acquiesce.
Comprenant qu’en restant silencieux, les choses ne s’arrangeraient pas et l’ambiance deviendrait vraiment lourde pour nous deux, je prends la situation en main et lance vraiment la discussion en lui demandant si elle avait bien pu parler avec le cancérologue du traitement. Elle répond par l’affirmative, mais le ton de ma voix invitait volontairement à une réponse ouverte et développée et c’est ce que j’obtiens. Elle me parle du compte-rendu, des mois de chimiothérapie à suivre, des retombées post-chimio à supporter, de l’opération qui suivra. Je lui demande comment elle se sent, par rapport à tout ça, comment elle vit. Elle répond qu’elle le vit mal, que ça l’attriste d’être l’actrice d’un terrible spectacle dont elle s’imaginait toujours n’être qu’une compatissante spectatrice. Que ça lui arrive à elle.
Je constate que sa voix est plus claire, la communication est lancée ; je suis toutefois surpris de ne pas constater de réelle émotion dans ses paroles. Elle me regarde alors et me demande si les effets secondaires seront vraiment si abominables. « On entend de telles choses » dit-elle.
Je lui parle donc ouvertement de la perte des cheveux, mais j’enchaîne aussitôt sur le port de perruques, aujourd’hui extrêmement réalistes. Je lui conseille d’aller voir une spécialiste dont Bergonié transmet souvent les coordonnées à ses patients avant l’alopécie, afin qu’elle puisse la voir avant la chute, et qu’elle soit apte à lui refaire la même coiffure ou, si fantaisie lui prenait, de changer complètement d’apparence, mais que cela concorde bien avec son visage.
Elle me demande ce qu’il y a d’autre. Je lui parle des douleurs articulaires et musculaires, des nausées, des diarrhées, des paresthésies. Je tempère toutefois le sombre tableau en précisant que, pour justement limiter ces effets, une médication lui sera prescrite qui lui rendra les intercures plus vivables. Par ailleurs, j’ajoute qu’en cas d’intolérance au traitement, les doses seront analysées et revues à la baisse de manière à être mieux tolérées tout en demeurant efficaces.
J’évoque aussi l’atteinte des ongles, ceux-ci pouvant être cassés ou très fragilisés. Là aussi, je lui parle des précautions prises pour limiter ces effets (je parle de la pause de glace aux extrémités et à la tête) et du vernis à ongle spécial dont on lui donnera une brochure.
Voyant qu’elle cherche vraiment la vérité, je ne cherche pas à lui mentir, et lui présente un tableau certes cru de la chimiothérapie pure, mais nettement adouci par les précautions qui lui seront proposées pour limiter tout cela. J’évoque ainsi le cas de patients vivant leurs intercures sans trop de difficultés, chaque patient ayant une tolérance bien individuelle.
Je constate qu’elle semble plus rassurée ; d’une part, elle parle bien plus, et d’une autre elle place quelques petits sourires lors de certaines réflexions. Je termine le produit injectable et la quitte le temps que le Nacl de rinçage soit écoulé, avant de poursuivre plus tard le reste du traitement. En la quittant, je sens Madame D. bien plus assurée et posée.
Je pense avoir bien géré la situation, car, me retrouvant ainsi seul face à une patiente désemparée et mutique, je suis parvenu en simultané à engager une communication soignant-soigné, à lui apporter un lot important d’informations dont l’ignorance la tourmentait visiblement, à faire de l’éducation lorsque je lui donnais les recommandations d’intercure et à la rassurer. Le seul regret que j’éprouve vis-à-vis de cette situation vient du fait que je n’ai pas eu l’opportunité de parler vraiment avec elle de ses ressentis personnels par manque de temps, et parce que je sentais qu’elle n’était pas décidée à engager un tel dialogue avec un étudiant infirmier, ce que j’ai parfaitement compris. Fixant mes limites, je lui ai proposé d’avoir un entretien avec l’infirmière d’annonce, qui viendra dans quelques minutes et éventuellement un psychologue par la suite.
Dès mon arrivée dans la chambre, il m’est apparu évident que Madame D. était anéantie de se retrouver en tant que patiente ; son mutisme et son absence de réaction étaient des signes de faiblesse, d’un abandon de soi à la situation. Elle avait peur et était bouleversée.
Toute personne qui a brutalement la révélation de sa fragilité, de l’incertitude de son destin, qui ressent peur et angoisse face à son avenir, a besoin de beaucoup de chaleur et de compréhension.
Mais comment trouver les mots justes pour être “en phase”, et, y a-t-il des mots justes ? Le secret serait d’abord de la laisser parler, s’exprimer. De ne pas se précipiter pour faussement la rassurer. Mais comment réagir lorsque la personne se tait ?
Il est déjà primordial d’éloigner la patiente des idées reçues, des fameux témoignages déprimants d’Internet, des informations proclamées par des non-professionnels. Elles sont souvent illusoires et dangereuses. Personne ne peut prédire l’avenir. Tout au plus peut-on évaluer la gravité de la maladie, et ses risques éventuels. C’est le rôle des examens pratiqués par les médecins, ils leur permettent de mieux adapter les traitements à chaque personne.
L’attitude à absolument rejeter est la minimisation de la situation. En effet, en pensant rassurer dans un but noble (“ce n’est pas si terrible, vous allez voir, c’est moins pire que ça en a l’air”), on nie la gravité de la maladie, ce qui va à l’encontre du soin pour le patient ; on ne le ménage pas pour qu’il soit horrifié par la suite et on le l’infantilise pas en lui cachant la vérité. L’objectif est de trouver un équilibre.
Pour cela, il faut lui montrer que l’on comprend sa peur des traitements, de la douleur, de la mort... Ses réactions face à la maladie sont naturelles et normales. C’est pour cela qu’il est nécessaire de poser le cadre immédiatement. Non, ce ne sera pas une période facile, oui il y aura des effets secondaires gênants. Et, aussi parallèlement que possible, il faut équilibrer la balance en rappelant que tout ceci est déjà pris en compte, et que des mesures sont établies pour assurer à la patiente que les effets néfastes seront traités au maximum.
En outre, il ne faut pas hésiter
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