Premier jugement chinois en matière d'abus de position dominante
Par Christopher • 9 Mai 2018 • 2 438 Mots (10 Pages) • 586 Vues
...
Ce litige opposant deux géants du monde du réseau chinois, Tencent et Qihu, qui occupent respectivement sur le marché chinois plus de 80 % du marché de la MI et plus de 70 % de celui des logiciels de sécurité informatique, constituait une belle occasion de tester les outils d’analyse à la disposition du juge et des agents. L’effort de la CSP pour adapter sa méthode d’analyse est visible, malgré des difficultés rencontrées.
A. – Adaptation des outils d’analyse
1) Recours aux « preuves directes »
La Cour a d’abord reconnu la difficulté de définir le marché pertinent d’une manière claire. La définition du marché subit des contraintes liées à la disponibilité des données économiques et la complexité du secteur en question. Au lieu d’être une fin en soi, la définition du marché pertinent devient un moyen pour évaluer la conséquence du comportement mis en cause sur la concurrence.
Elle a donc complété son analyse non concluante du marché pertinent et de la position dominante par des « preuves directes »
Dans cette affaire, les preuves directes prises en compte par le juge sont principalement des données statistiques fournies par le « Rapport d’étude sur les utilisateurs de messagerie instantanée en Chine (2009) » et le « Rapport d’étude sur l’utilisation des sites de réseau par les internautes chinois (2012) » publiés par le China Internet Network Information Center, ainsi que l’« Étude annuelle de la messagerie instantanée en Chine (2010-2011) » par Jane Edition.
L’analyse des preuves directes des effets d’exclusion et de contrainte à la concurrence peuvent, selon la CSP, aussi permettre à aboutir à une évaluation des impacts sur le marché.
2) Une analyse de la plateforme multi-face
À la demande de la société Qihu, la Cour reconnaît l’importance du phénomène de plateforme multi-face sur Internet. Elle a donné une description de ses traits caractéristiques et identifié la concurrence des plateformes qui attirent les utilisateurs souvent par un service gratuit d’un coté et des publicitaires et fournisseurs de services à valeur ajoutée de l’autre coté. Tout en reconnaissant l’importance de les envisager au cas par cas, la CSP a pris soin de donner des critères distinctifs aux plateformes. Elle estime que les plateformes multi-face sont souvent construites autour de services clés très distincts (tel que le moteur de recherche ou la MI), de telle sorte que les utilisateurs ne changent pas de plateforme pour une autre plateforme construite sur la base d’un service différent. Enfin, la distinction des services clés à la base des plateformes conduit à une distinction visible des modèles de profits, des publics ciblés et des types de produits de valeur ajoutée entre les plateformes.
Après ces observations, la CSP a conclu qu’il y avait lieu de ne pas envisager les services en tant que plateforme dans la phase de définition de marché pertinent pour ne pas exagérer les contraintes concurrentielles potentielles de la MI. Néanmoins, la CSP a reconnu la nécessité d’étudier cet aspect dans l’analyse de la position dominante des acteurs économiques.
3) Le caractère dynamique du marché
Quand la CSP répond à la question de savoir si le marché de MI installé par les appareils mobiles devrait être inclu dans le marché pertinent, elle analyse d’abord « si, au moment de la pratique en cause, le service des MI installé sur les smartphones et tablettes constituait un fort potentiel de restitution et exerçait une contrainte concurrentielle effective ». Ensuite, la CSP s’est appuyée sur les données fournies par une étude sur le marché MI pour s’intéresser aux tendances dans l’évolution du nombre d’utilisateurs des appareils mobiles ayant accès à l’Internet. La forte progression du nombre d’utilisateurs de ces produits mobiles prévue par les statis-tiques a renforcé la conclusion sur le rapport de restitution de ces produits et la nécessité d’envisager leurs marchés comme unique.
Malgré les efforts engagés par la CSP pour adapter ses outils à la réalité complexe de l’économie de réseau, elle a été confrontée à des obstacles difficiles à surmonter pour aboutir son analyse.
B. – Difficultés rencontrées par le juge
1) Une pratique en cause inscrite dans un contexte de réseau multi-face
À première vue, la « culpabilité » de Tencent, un opérateur de MI gratuite occupant plus que 80 % de marché qui « demande » à ses utilisateurs de désinstaller un produit d’un concurrent pour pouvoir continuer à utiliser son produit, est presque évidente et n’est pas sans rappeler les premières affaires Microsoftaux États-Unis.
Le jugement de la CSP n’a pas fourni tous les éléments du contexte factuel de l’affaire, ce qui est regrettable car il n’est pas possible de comprendre complètement les motifs et conséquences des comportements des parties sans les appréhender dans leur contexte.
En réalité, la pratique consistant pour Tencent à demander aux utilisateurs de son MI QQ de désinstaller le Qihu 360 a été une rispose à une attaque de Qihu : le 29 octobre 2010, soit 3 jours avant que Tencent n’ait imposé son exigence de « choisir l’un ou l’autre », Qihu avait ajouté une fonction dans son logiciel anti-virus qui bloquait les publicités intégrées dans la MI de Tencent. Cette fonction a reçu un accueil positif des utilisateurs des deux produits qui étaient mécontents de la publicité parfois agressive intégrée dans la messagerie. La demande de Tencent de désinstaller le Qihu 360 est donc facile à comprendre. Sans pouvoir diffuser de publicité et d’autres applications, sa plateforme, dans un environnement gratuit, n’avait plus de valeur.
L’attaque et la contre-attaque des deux parties s’inscrivaient donc dans un contexte d’ensemble de différents aspects des réseaux multi-face dont la MI gratuite n’est qu’une des facettes.
2) La prudence du juge dans son traitement du réseau multi-face
La CSP estime dans cette affaire, en absence de données fiables, qu’il n’est pas pertinent d’accorder une considération importante à l’aspect du réseau multi-face. Elle considère ainsi que d’envisager le produit sous cet angle en phase de définition du marché pertinent risque d’exagérer la contrainte concurrentielle
...