LA CAUSE : UNE NOTION AMBIGUË
Par Ninoka • 4 Mai 2018 • 6 022 Mots (25 Pages) • 458 Vues
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- Les critiques à la cause objective
« Les anti-causalistes »[11], opposés à l’application de la notion de cause, avec à leur tête Planiol, se sont élevés pour critiquer la conception classique. En effet, la théorie est, pour eux, fausse et inutile. Elle est fausse car dans les contrats synallagmatiques les obligations naissant en même temps ne peuvent se servir mutuellement de cause. Pour les contrats réels, on va au-delà de la cause car la remise de la chose est ce qui donne vie au contrat lui-même ; dans les contrats à titre gratuit l’intention libérale est presque toujours motivée par un mobile. La théorie est inutile, parce que l’annulation du contrat fondée sur l’absence ou la fausse cause se ramène le plus souvent à l’erreur sur le consentement ou à l’absence d’objet. Ces critiques ainsi misent en exergue sont à l’origine d’une conception dite moderne de la cause.
PARAGRAPHE II : LA CONCEPTION MODERNE : LA CAUSE DU CONTRAT
Toujours répondant à la question « pourquoi a-t-on contracté ? », la conception moderne, dite encore subjective, va rechercher la réponse plus loin que le but immédiat et direct. Il convient alors de présenter cette théorie (A) avant d’envisager les implications qui lui sont propres (B).
- Présentation de la théorie moderne de la cause
En réponse aux anti-causalistes, la subjectivisation de la cause est ici défendue. Pour Josserand, on doit assimiler cause et motif. Quant à H. Capitant, la cause est le but que poursuivent les parties en concluant le contrat. On dépasse donc le cadre de la cause de l’obligation pour aller scruter dans la psychologie des parties. Une certitude est que les auteurs de cette conception s’accordent à dire qu’il s’agit de la « cause impulsive et déterminante » qui pousse une partie à contracter. L’article 1133[12] en exigeant une cause licite ne fait certainement pas référence à la cause de l’obligation, qui dans une certaine mesure, se confond avec l’objet de l’obligation, ce qui rendrait inutile son application. L’appréciation de la licéité de la cause par la théorie moderne, qui recherche le mobile déterminant, permet la nullité du contrat pour illicéité de la cause.
- Les implications propres à la théorie subjective de la cause.
L’illicéité doit s’entendre d’une part, de la cause illicite c'est-à-dire prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public, et d’autre part, de la cause immorale alors contraire aux bonnes mœurs. Le contrat est donc annulé si la cause est illicite ou immorale. Mais encore faut-il que ce mobile soit entré dans « le champ contractuel », ou bien, que la cause impulsive et déterminante d’une partie ait été connue ou aurait dû être connue par le cocontractant[13]. Cette solution ne vaut que pour les contrats synallagmatiques. Cependant, elle a été abandonnée au profit d’une autre, exprimée en ces termes : « un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale même lorsque l’une des parties n’a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat »[14]. Dans le contrat à titre gratuit, la cause du contrat est le mobile, la raison fondamentale qui pousse à l’intention libérale. Dès lors que la licéité de la cause est mise en jeu, la sanction qui s’en suit est la possibilité de soulever la nullité absolue car la finalité recherchée est la préservation de l’intérêt général.
Ainsi présentée, la controverse issue de la notion de cause va nous amener à aborder à présent les conséquences liées à celle-ci.
SECTION 2 : LES CONSEQUENCES LIEES A LA CONTROVERSE DANS L’APPLICATION JURISPRUDENTIELLE
La controverse doctrinale quant à la notion de cause n’a pas épargné la jurisprudence. Ainsi, l’évolution de cette notion s’est ressentie sur l’application jurisprudentielle qui en a été faite (Paragraphe I). Malgré tout, les dernières décisions rendues en la matière sont la manifestation de la subjectivisation de la cause de l’obligation (Paragraphe II).
PARAGRAPHE I : EVOLUTION DANS L’APPLICATION DE LA NOTION DE CAUSE
En dépit des critiques des anti-causalistes, la théorie classique a été exclusivement appliquée jusqu’à la fin du XIX ° siècle (A). Toutefois l’abondante doctrine[15] a conduit la jurisprudence à revoir l’application qu’elle faisait de la notion de cause (B).
- Application initiale de la théorie objective
La théorie objective fut à l’origine la seule construction doctrinale de la notion de cause. Par conséquent, les juges opéraient une appréciation objective de la cause ; il s’agit du mobile abstrait de l’obligation. C’est-à-dire la « cause de l’obligation ». On recherche la raison d’être générale du contrat. Ainsi pour chaque type de contrat, le juge se pose la question de savoir quelle est la raison sans laquelle le débiteur n’aurait pas été tenu d’exécuter son obligation. La seule difficulté réside, pour lui, dans le fait de rechercher dans le contrat qui lui est soumis la cause de l’obligation car elle diffère selon le contrat considéré[16]. C'est dans cette mesure que la cause objective peut servir à qualifier les contrats.
Sous l’influence de la théorie moderne, la jurisprudence va s’arroger une conception dualiste de la notion de cause.
- Conception dualiste de la notion de cause.
Le panachage dressé par MAURY entre cause de l’obligation et cause du contrat se retrouve aujourd'hui en jurisprudence. En matière d'appréciation de l’existence de la cause, elle s'attachait traditionnellement à la théorie de la cause objective. Mais on a pu noter un infléchissement de la position des juges suites aux arrêts Point Club vidéos[17] et Chronopost[18] qui semblaient avoir transposé la théorie de la cause subjective en droit positif. À cet égard, l'arrêt des "cassettes vidéos" est sans équivoque : il s'attachait à ce que la cause du contrat demeure lors de son exécution. L'office du juge était, dans ce cas, de vérifier que le contrat puisse être exécuté conformément à l'économie voulue par les parties lors de la conclusion du contrat. Dans le cas contraire, le juge devait invoquer l'absence de cause dans le contrat et en prononcer la nullité.
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