Jean Bodin - les six livres de la République, livre II, chapitre V
Par Matt • 3 Septembre 2018 • 2 842 Mots (12 Pages) • 1 076 Vues
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III. Analyse de l'extrait.
La légitimité de la souveraineté est un thème sur lequel Bodin insiste beaucoup dans son ouvrage. Déjà Socrate et Platon avaient définit la tyrannie, sans qu'elle possède nécessairement une connotation péjorative, Bodin apporte sa propre définition moderne, plus totalitaire. La tyrannie, passage obligé de toute continuité politique, se heurte à la définition de la souveraineté légitime que nous développe Bodin. D'autant plus que cette tyrannie est un des arguments proéminents de la Franco-Gallia d'Hotman. Il s'agit donc d'un passage décisif dans l'argumentaire de Bodin, car c'est également la légitimité de son roi de France qu'il défend dans ces lignes. Dans ce chapitre, Bodin va donc convaincre, arguments historiques à l'appui, le lecteur et ses détracteurs en se laissant guider par l'interrogation suivante : Dans quelle mesure le sujet doit-il respecter l'intégrité[2] de la souveraineté, quand bien même cette dernière relèverait de l'illégitimité?
Afin de correctement analyser cet extrait, il est impératif d'approfondir la conception des notions juridiques du point de vue auctorial.
Pour Jean Bodin trois formes de monarchie se distinguent et s'opposent : la monarchie tyrannique « où le Monarque, méprisant les lois de nature abuse des personnes libres comme d'esclaves ». Notons ici la notion d'abusus dont faire référence Bodin. La monarchie seigneuriale dans laquelle le monarque, possesseur des biens et sujets, les administre « par le droit des armes, gouvernant ses sujets comme le père de famille ses esclaves ». Enfin, la monarchie royale et légitime, à laquelle se réfère généralement Bodin dans son ouvrage et qui est, pour lui, sa forme de prédilection, dans laquelle « les sujets obéissent aux lois du Monarque et le monarque aux lois de nature, demeurant la liberté naturelle et propriété des biens aux sujets ». Ainsi, il est plus compréhensible que Bodin qualifie, dans l'extrait, le tyran comme étant « celui qui, de sa propre autorité, se fait Prince souverain[3] ». L'« auctoritas » s'oppose à la « potestas » et possède une valeur subjective dans la mesure où l'auteur (« auctor ») ne reçoit pas la souveraineté mais la prend de plein gré, illégitimement. On retrouve ici la notion totalitaire de l' abusus que Bodin évoque dans sa définition de la monarchie tyrannique. La légitimité du prince revête une importance primordiale aux yeux de Bodin. Elle est, suivant son étymologie, basée sur la « lex », la loi, coutumière[4] ou positive. Ainsi, si l'autorité ne relève pas de la loi, ou d'une coutume, successorale, élective, ou encore d'une vocation divine[5], il ne peut s'agir que d'illégitimité et, par conséquent, d'une tyrannie. Laquelle ne peut, légalement et coutumièrement (Bodin rappelle dans l'extrait que les anciens s'entendaient déjà à ce sujet), qu'aboutir à une mise à mort du tyran. Ainsi l'auctoritas du prince, détenue de son propre chef, au détriment des lois ne peut que se conclure par une mise à mort légale. Ce dernier faisant un crime de lèse-majesté à la véritable souveraineté, légitime quant à elle.
Pour Bodin la souveraineté est inhérente à la République et la seconde ne peut exister sans la première. Par République, il faut chez Bodin entendre État, car il en garde la conception antique. Cette res publica, est pour Bodin : « L'union d'un peuple sous une seigneurie souveraine », définition qui tend à la conception de l’État actuel et s'oppose au féodalisme moyenâgeux. Il utilise dans son livre l'image de la souveraineté-vaisseau afin d'illustrer ses propos : « Tout ainsi que le navire n’est plus que bois, sans forme de vaisseau, quand la quille qui soutient les côtés, le proue, la poupe et le tillac sont ôtés : aussi la République sans puissance souveraine, qui unit tous les membres et parties d’icelle, et tous les ménages et collèges en un corps, n’est plus République. ». D'une nécessité commune, ce pouvoir souverain possède quatre caractéristiques pour Bodin : sa puissance de commandement, sa puissance absolue, sa puissance indivisible et sa puissance perpétuelle.
La puissance de commandement
A contrario du pouvoir conféré au pater familias antique, la puissance souveraine moderne est publique. Lui conférant ainsi un pouvoir suprême, la souveraineté « gît au souverain qui donne la loi ou en la personne des magistrats qui plient sous la loi, et commandent aux autres magistrats et autres particuliers ». Pour Bodin, la souveraineté peut donc être monarchique, aristocratique ou encore populaire, mais demeure une institution indépendante de la personne souveraine physique, du fait de sa puissance perpétuelle. Bodin établit d'abord dans son Methodus une liste non exhaustive des attributions régaliennes, avant d'affirmer dans le De Republica que « sous cette même puissance de donner et casser la loi, sont compris tous les autres droits et marques de souveraineté ». Attendu que la loi ne découle, non plus du bien commun comme au Moyen-Âge, mais de la volonté unique du souverain, à laquelle on ne déroge pas.
La puissance perpétuelle.
La souveraineté est une personne morale indépendante de la personne physique du souverain. Ce principe illustré par l'adage «le roi est mort, vive le roi », est une des affirmations novatrices de Bodin. Bien que les bases de la dichotomie entre la personne physique et morale du souverain avaient déjà été posées au Moyen-Âge, Bodin affirme que l’État ne peut exister si la puissance de la souveraineté n'est pas permanente. Que cette dernière soit monarchique, aristocratique ou populaire. Bodin, et Rousseau s'en inspirera, pose également la distinction entre la souveraineté et le gouvernement. Le « magistrat souverain », est en effet élu pour un temps déterminé,
La puissance absolue.
Bodin décrit en ces termes cette puissance : « Que ceux-là qui sont souverain ne soient aucunement sujets aux commandements d'autrui », par conséquent « le prince est absous (absolutus) de la puissance des lois », attendu qu'il soit également absous des siennes propres et qu'il ne peut « se lier les mains ». Ainsi, il ne lui faut ni « le consentement du plus grand ni du pareil ni de moindre que soi ». Libre d'agir, selon sa « pure et franche volonté » en droit positif,
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