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Gouverner, c'est légiférer

Par   •  28 Octobre 2018  •  4 428 Mots (18 Pages)  •  601 Vues

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Au cours de la délibération de la loi, le Gouvernement semble là encore bénéficier d’une prééminence non négligeable. Ainsi, avant la révision constitutionnelle de 2008, le Gouvernement bénéficiait de la priorité : les projets de loi étaient le support de la discussion en commission (article 42 C.) et la priorité revenait également aux projets de loi lors de l’examen en séance publique (article 48 C.). La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a fait perdre cette immunité au Gouvernement, entraînant une inflation législative et une augmentation considérable du nombre d’amendements. Il faut donc que le Gouvernement puisse agir pour éviter l’obstruction parlementaire : sous la XIIème législature (2002-2007), 234 000 amendements ont été déposés. On peut par exemple penser à cette célèbre image de Jean-Louis Debré, alors président de l’Assemblée nationale (2006), sur le perchoir, caché derrière 137 000 amendements déposés contre le projet de loi de privatisation de GDF Suez. Plus récemment, plus de 5 000 amendements au projet de loi du mariage pour tous ont été déposés, ce qui aurait nécessité deux semaines entières de débats, weekend compris. Le Gouvernement dispose de plusieurs armes pour dépasser l’obstruction législative. Il peut faire appel à l’article 40 C. et opposer l’irrecevabilité. Ensuite, conformément à l’article 44 C, al. 2, il peut sélectionner les amendements en demandant un vote bloqué : les assemblées doivent se prononcer, par un seul vote, sur tout ou une partie du projet de loi, mais seulement sur les amendements acceptés par le Gouvernement. Le vote bloqué est la dernière étape avant l’utilisation de l’article 49 C., al. 3, qui apparaît comme un dernier recours. Le Gouvernement engage sa responsabilité sur un texte de loi : si une motion de censure n’est pas votée dans les 24 heures qui suivent, le texte est considéré comme adopté. De plus, le Gouvernement peut aussi, au cours du processus de navette parlementaire, surmonter le différend entre les deux assemblées, si différend il y a, en engageant une procédure accélérée (une lecture du texte dans chaque assemblée) conformément à l’article 45 C. ou en provoquant la réunion d’une commission mixte paritaire (article 45 C.).

Enfin, l’article 10 C. dispose : « Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée ». Il peut surseoir à la promulgation en saisissant le Conseil Constitutionnel ou en demandant au Parlement une nouvelle délibération portant sur tout ou partie du texte de loi. La loi nouvellement adoptée est ensuite inscrite au Journal Officiel de la République française.

Le Gouvernement bénéficie donc d’armes procédurales lui permettant d’intervenir dans le processus législatif. Il peut aussi se substituer au Parlement en prenant des mesures qui sont du domaine de la loi par le biais des ordonnances.

- Les ordonnances : un moyen pour l’exécutif d’intervenir à la place du Parlement.

Les ordonnances sont mentionnées aux articles 38 C., 47 et 47-1 C., 92 C. mais il s’agit ici de s’intéresser aux ordonnances de l’article 38 C. L’article 38 C. dispose : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. Elles sont signées par le Président de la République conformément à l’article 13 C. Les ordonnances, en ce qu’elles sont prises par le Gouvernement, sont dans un premier temps des actes réglementaires, qui sont donc en-dessous des lois au sein de la pyramide de Kelsen. Elles prennent une valeur législative après la ratification par le Parlement, à l’expiration du délai fixé par une loi d’habilitation : « A l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ». L’habilitation de l’Exécutif à prendre des mesures à valeur législative est octroyée par le Parlement à la demande du Gouvernement lui-même. Le Parlement peut accepter, refuser l’habilitation ou limiter la durée de l’habilitation. Ainsi, en confiant au Gouvernement le pouvoir de légiférer, le Parlement donne à l’Exécutif la compétence d’intervenir à sa place, dans le domaine qui lui est normalement réservé. Les ordonnances modifient donc les limites entre le domaine de la loi et le domaine du règlement, respectivement définis aux articles 34 C. et 37 C. Les ordonnances sont une méconnaissance volontaire de la frontière normative entre loi et règlement. La Vème République institutionnalise la pratique fréquente des décret-loi sous les Républiques précédentes, tout en reprenant une dénomination qui n’est pas sans rappeler celle de l’Ancien Régime, du Consulat, de l’Empire, de la Restauration ou de la monarchie de juillet. On justifie l’usage des ordonnances par des arguments politiques : le Gouvernement doit disposer des moyens lui permettant de déterminer et de conduire la politique de la nation, en application de l’article 20 C. Ainsi, le Gouvernement peut recourir aux ordonnances afin de limiter l’encombrement législatif ou par souci d’efficacité et de rapidité. Néanmoins, il s’avère que les ordonnances sont aussi un moyen pour le Gouvernement de prendre des mesures impopulaires ou qui sont susceptibles de ne pas être adoptées par la procédure législative classique. La première ordonnance prise sous la Vème République est celle du 4 février 1960 permettant au Gouvernement de prendre des mesures de maintien de l’ordre en Algérie. Cette pratique est restée assez rare, mais on assiste à une multiplication du nombre d’ordonnances à partir des années 2000. En 2008, le Sénat publiait une étude recensant le nombre de lois d’habilitation votées et les ordonnances signées en application de ces lois d’habilitation : entre 2004 et 2007, le Parlement a donné 38 fois son habilitation au Gouvernement donnant lieu à 170 ordonnances. En 2013, François Hollande affirmait vouloir légiférer par voie d’ordonnances afin de gagner en efficacité et en rapidité.

Il semble donc que les ordonnances puissent faire l’objet d’un usage abusif par le gouvernant. C’est pourquoi le Conseil Constitutionnel contrôle les lois d’habilitation mais aussi les ordonnances ratifiées, qui doivent être conformes à la Constitution de la Vème République. Il s’agit ici d’éviter toute dérive

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