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FICHE ANALYTIQUE DESERT DE CLEZIO

Par   •  28 Février 2018  •  4 104 Mots (17 Pages)  •  700 Vues

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Le peuple est, par ailleurs, décrits comme démuni : le silence même du narrateur, qui dans sa description évoque les hommes et le désert mais ne mentionne presque aucun objet, et aucune richesse, souligne à lui seul le fait que ces hommes ne possèdent rien : tout juste ont-ils des habits dont le désert a fait des lambeaux, qu'ils n'ont probablement pas les moyens de changer, et un unique fusil, piètre défense, que le père de Nour porte avec fierté : « il la portait sur la poitrine, serrée entre ses deux bras, le canon dirigé vers le haut comme la hampe d'un drapeau ».

C'est d'ailleurs au sujet de cette arme que l'on trouve la seule description d'objets du paysage : « une carabine à pierre au long canon de bronze noirci ». Ce désintérêt du narrateur pour ce qui est de l'ordre du matériel, de l'avoir, évoque celui du peuple du désert lui-même pour la possession : « ils ne disaient rien. Ils ne voulaient rien ».

Mais cette pauvreté, ce dénuement même, ne sont pas représentés comme une absence, comme un manque, car ces hommes ont pour bien tout à la fois la souffrance et la Nature, le désert et sa démesure, l'horizon lui-même : « ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie Lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l'horizon inaccessible » : leur richesse réside dans leur liberté, elle-même permise par les sacrifices qu'ils ont consentis, et dans leur union avec le désert. Vous noterez que les seules occurrences du verbe « avoir » interviennent justement dans ce passage final de notre extrait : « ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge », « ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique de leur yeux ». En réalité, cet « avoir » est surtout un « être », un état, une façon d'exister au monde caractérisée par leur rapport avec le désert dont ils font partie intégrante.

De fait, le narrateur les dépeint comme devenus eux-mêmes un élément du désert, comme imprégnés par lui : « ils étaient devenus, depuis si longtemps, muets comme le désert, pleins de lumière quand le soleil brûle au centre du ciel vide, et glacés de la nuit aux étoiles fiées ». Ces hommes sont devenus silencieux comme le désert l'est, et leurs corps suivent les rythmes du soleil et de la lune, de la chaleur et du froid, si marqués dans ces régions. Même leur peau a changé de couleur, comme nous l'avons vu précocement : « la sueur coulait lentement sur le visage des voyageurs, et leur peau sombre avait pris le reflet indigo, sur leurs joues, sur leurs bras, le long de leurs jambes » ; dans cette phrase, le rythme ternaire final évoque les corps entièrement recouverts de sueur et tintés d'indigo, comme pour souligner l'emprise totale du milieu sur les hommes. Ce sont les corps qui montrent le mieux cette transformation profonde : ils semblent travaillés, usés, possédés par le désert et ses contraintes, comme le soulignent les notations suivantes : « son visage était sombre, noirci par le soleil », « la fatigue et la soif les enveloppaient comme une gangue », « la sécheresse avait durci leurs lèvres et leur langue. La faim les rongeait ». La peau du Nour, elle aussi, change de couleur. L'image de la gangue fait des hommes bleus des pierres précieuses conservées par le désert sous une apparence rude ; mais ils sont aussi les victimes du désert, « rongés » comme par un animal qui se repaîtrait d'eux. Plus même qu'un changement d'apparence, c'est presque un changement de nature auquel le désert les soumet ; ils semblent ainsi devenir bêtes ou métal : « les tatouages bleus sur le front des femmes brillaient comme des scarabées. Les yeux noirs, pareils à des gouttes de métal, regardaient à peine l'étendue de sable. »

Le scarabée est l'animal qui symbolise le soleil chez les Égyptiens ; le métal, quant à lui, devient « gouttes » sous l'action d'une très forte chaleur : les hommes bleus sont littéralement habités par la chaleur solaire du désert, qu'ils finissent par incarner.

Mais au-delà du corporel, et c'est là que réside leur sacrifice, dans le don au désert de leur corps et de leur bien-être physique, ces hommes sont des êtres lumineux. Sous la gangue, on trouve la lumière, celle du désert ( champ lexical de la lumière et de la brillance): « ils étaient devenus, depuis si longtemps ... pleins de lumière... » , « la lumière de son regard », « ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière et de la nuit », « ils avaient surtout la lumière de leur regard qui brillait si clairement dans sclérotique de leurs yeux ».

Nés du désert même, ils en font si bien partie qu'ils n'ont presque plus d'existence propre : « le vent passait sur eux, à travers eux, comme s'il n'y avait personne sur les dunes ».

3- Quelle place occupent la parole et le silence dans le passage ? En un début de roman, cela ne vous semble-t-il pas paradoxal ?

Le silence règne en maître sur ces premières pages du roman : aucun personnage ne parle, aucun dialogue n'est rapporté, ni au style direct ni au style indirect. D'une part, les conditions mêmes de la vie dans le désert expliquent ce silence : l'aridité est telle que la bouche des Touaregs est gercée, et « la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil » les empêchent de se parler.

Le vent emporte les paroles, les rendant vaines : « le vent emportait les bruits et les odeurs ».

Les rapports entre les êtres sont donc de nature instinctive : de fait, les hommes sont évoqués dans leur marche au même plan que les bêtes. Par delà ces contraintes nées du désert, les personnages sont, comme on l'a vu, « nés du désert » : à l'image du milieu naturel avec lequel ils font corps, ils savent se passer de paroles : « ils n'auraient pas pu parler. Ils étaient devenus, depuis si longtemps, muets comme le désert ».

C'est donc à une forme d'incapacité verbale, remplacée par d'autres formes de communication, qu'ils se trouvent condamnés. Le silence du désert habite tout le passage, où aucune notation de bruit n'est à relever : c'est même plutôt la récurrence du champ lexical de l'absence de bruit

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