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Peut-on dire qu'une oeuvre échappe à son auteur ?

Par   •  23 Février 2018  •  1 725 Mots (7 Pages)  •  989 Vues

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ou de Grimm, qui connaissent une telle notoriété que le nom de leur auteur est inconnu des millions d’enfants qui rêvent pourtant sur ces histoires, dans tous les pays !

Les créations littéraires accèdent à cette dimension universelle car elles mettent en scène des caractères humains qui sont en fait de véritables types. Il en est ainsi des pièces de Molière : Harpagon est un modèle éternel d’avare, Alceste représente tous les misanthropes, etc. Tout un chacun peut reconnaître son voisin dans ces personnages certes caricaturaux, mais tellement justes. De même sommes-nous tentés de nous identifier aux personnages héroïques, qui touchent en nous une fibre particulièrement vibrante. Quel enfant disgracieux n’a pas rêvé d’être un Cyrano de Bergerac ?

Quelle que soit l’époque, quel que soit le courant littéraire auquel appartient un texte, il peut contenir une part d’éternité dans les valeurs, les idées, les questionnements qu’il exprime et qui restent valables dans toutes les cultures et toutes les sociétés à travers les âges. La quête du bonheur est ainsi un thème qui parle à tout être humain, depuis De uita beata de Sénèque jusqu’aux romans de Le Clézio (Le chercheur d’or par exemple).

L’auteur donne donc vie et force à son œuvre, suffisament pour qu’elle lui survive et traverse les siècles après lui. En écrivant sur ce qui caractérise l’être humain, sur des questionnement et des valeurs universelles, le créateur émancipe son texte, le rend accesssible à tout être humain, quelle que soit sa culture, quel que soit son âge, son sexe, sa position sociale. L’œuvre littéraire dépasse ainsi son époque et son créateur.

Nous avons déjà démontré que le texte appartient à son auteur dans la mesure où celui-ci y injecte ses idées personnelles. Ces idées peuvent accéder à une forme d’éternité et ainsi échapper à la dimension temporelle dans laquelle leur auteur est retenu. Cependant il est une forme de libération de l’œuvre d’art qui est bien plus profonde, c’est justement lorsque le sens du texte échappe à ce que l’auteur a voulu en faire. C’est un phénomène un peu effrayant, mais tellement fréquent !

Toute œuvre littéraire est faite pour être lue. Elle peut être reçue par le lecteur de différentes façons, selon son propre vécu, sa propre culture. Ces éléments ne sont absolument pas maîtrisables par l’auteur. Certains messages qu’il croyait faire passer dans un texte peuvent être totalement méconnus par certains lecteurs. Par exemple, il y a de très nombreuses références bibliques dans les poèmes de Max Jacob : 1914, qui ouvre le recueil Le Cornet à dés en est un exemple. Le sens de ce texte ne prend toute sa profondeur que par l’interaction des personnages comme Dieu, Jésus ou Job.

Un texte peut aussi échapper à son auteur au cours du passage des siècles. Les réinterprétations successives, parfois à la lumière de nouveaux courants littéraires, peuvent amener à s’éloigner de ce que l’auteur a voulu pour son texte. Il en est probablement ainsi pour le Don Quichotte de Cervantès. Celui-ci a voulu écrire « un divertissement honnête », alors qu’on peut aujourd’hui trouver une dimension dramatique à certains passages.

Cette appropriation par les lecteurs peut aller jusqu’à la génération de nouvelles œuvres. Nombreux sont les textes qui ont été source d’inspiration pour les générations suivantes : le Perceval de Chrétien de Troyes a fortement influencé Le Roi Pecheur de Julien Gracq, ou des œuvres non littéraires comme l’opéra Parsifal ou le film Indiana Jones et la dernière croisade de Steven Spielberg. C’est là un signe fort d’autonomie de l’œuvre par rapport à son auteur : elle devient indépendante, se régénère et donne naissance, bref, elle a une vie propre.

Etymologiquement, « échapper » signifie « fuir de la chape ». Cette chape serait celle imposée par la vision de l’auteur. Or l’œuvre littéraire acquiert rapidement une véritable autonomie par rapport à la signification initiale qu’a voulu lui donner son auteur : elle est interprétée selon la personnalité du lecteur, les idées de l’époque, elle est réinterprétée par d’autres artistes, elle dépasse l’acte créateur initial et l’artiste n’en est plus maître

Tout auteur considère son texte comme sien, à juste titre. Il y a mis son cœur, son âme, elle est un reflet de sa vie, de la société dans laquelle il évolue. Néanmoins, alors que l’homme est mortel, l’œuvre va traverser les siècles. Elle échappe ainsi à son créateur en se posant comme modèle universel et atemporel. Elle lui échappe aussi à travers ses destinataires. L’œil de l’écrivain n’est pas celui du lecteur, et l’œuvre littéraire prend toute sa force dans cette différence. L’interactivité entre le lecteur et le texte est source de vie, de changement, de complexité, qui font toute la grandeur de l’œuvre d’art. Grâce à ces aspect elle devient indépendante de son auteur et accède à une autre dimension. Oscar Wilde, dans la très belle préface du Portrait de Dorian Gray disait : « c’est le spectateur, et non la vie, que l’art reflète réellement ». Par ce jeu infini de miroirs, l’œuvre se renouvelle constament, gagne en profondeur et en richesse, c’est pourquoi « échapper » à son créateur est finalement une nécessité pour une œuvre

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