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Les Faux-monnayeurs, roman du réel et du possible

Par   •  17 Octobre 2018  •  1 574 Mots (7 Pages)  •  394 Vues

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Dans un deuxième temps, à l'instar du pasteur Vedel dans le roman de Gide, le romancier réaliste paraît avoir peur de la liberté des possibles qui lui est offerte et il semble se replier sur l'obligation de l'héritage : il doit mimer le réel comme le pasteur doit redire ce qu'on lui a enseigné. « Est-ce parce que, de tous les genres littéraires, discourait Edouard, le roman reste le plus libre [...] est-ce peut-être pour cela, par peur de cette liberté même, [...] que le roman, toujours, s'est si craintivement cramponné à la réalité ? »(p. 183). Le réel apparaît en fait comme un blocage des possibles, une impossibilité de la liberté. Où le roman apparaît, la liberté doit paraître et non le triste immobilisme du réel — telle semble être la leçon d'Edouard, ou du moins son désir. C'est en ce sens que l'on doit entendre son désir d'un «roman pur » : il ne s'agit pas seulement d'un roman épuré en son « style », mais de la pureté des possibles non encore passés sous les fourches du réel. D'où chez Edouard le refus du réel en art : « Je ne me servirai pas pour mes Faux-monnayeurs du suicide du petit Boris ; j'ai déjà trop de mal à le comprendre. Et puis je n'aime pas les " faits divers ". Ils ont quelque chose de péremptoire, d'indéniable, de brutal, d'outrageusement réel... Je consens que la réalité vienne à l'appui de ma pensée, comme une preuve ; mais non point qu'elle la précède » (p. 376). Si la pensée paraît primer sur le réel, ce n'est qu'en raison des possibles qu'elle maintient quand le réel les réduit, les détermine. Déjà l'usage du pluriel judicieux de Magny l'indique : il y a bien des possibles, il n'y a qu'un réel. Le roman, pour Edouard, mais semble-t-il pour Gide aussi, se refuse à prendre le pli du réel, il entend au contraire se démultiplier, favoriser à tout prix le bruissement nombreux des plis.

Nous venons de dire « semble-t-il », car il faut bien remarquer ceci : autant Edouard refuse le « fait divers » et en particulier le suicide de Boris pour ses Faux-monnayeurs, autant Gide, à l'évidence, en use dans son propre roman à travers l’affaire de fausse monnaie, mais également les personnages de Mme Sophroniska, Passavant (Cocteau) ou encore d’Alfred Jarry. Comme un drap imparfaitement tiré, Edouard auteur ne recouvre pas tout à fait Gide écrivain. Et sur la question du réel en particulier, Gide paraît bien en retrait des positions d'Edouard qu'il se complait à exhiber. Le dialogue avec Bernard le montre : « La réalité ne vous intéresse pas. — Si, dit Edouard, mais elle me gêne. — C'est dommage » (p. 190). Avec cette dernière réplique de Bernard, dont on connaît le désir d'agir, Edouard n'en paraît que plus timoré, replié sur un monde d'idées. Ainsi son roman devrait-il être « la lutte entre les faits proposés par la réalité, et la réalité idéale » (p. 186).

En conclusion, le roman d’André Gide, bien qu’étant lié à la réalité par les faits historiques et les emprunts au réel (échos de la vie de Gide, personnages réellement rencontrés par l’auteur etc…) tel que l’affirme C. E. Magny, est bien plus le roman des possibles que celui du réel, l’auteur semblant même rejeter le réel et lui préférer l’ouverture aux possibles jusque dans la structure même du roman. Cependant, Gide, contrairement à Edouard semble accepter d’allier le réel au possible dans l’intérêt de « faire tout entrer » dans son premier roman. Pour son personnage lui aussi écrivain, au contraire, le réel ne ferait qu’étouffer et limiter, voire empêcher le possible.

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