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La Châtelaine de Vergy, du conte médiéval à la réécriture de la Renaissance

Par   •  8 Octobre 2018  •  4 778 Mots (20 Pages)  •  449 Vues

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Une autre figure de losengier dans le récit de La Châtelaine de Vergy est celle de la duchesse. Celle-ci est mise au courant de la relation, mais souhaite y mettre un terme, et ainsi se venger. La duchesse a donc un double rôle : celui d'opposante à l'amour, et celui de la figure de la femme de Putiphar. La duchesse fait des avances au chevalier, mais elle est rejetée par ce dernier, et elle espère donc se venger. La figure de la femme de Putiphar est un élément que Marguerite de Navarre a conservé dans sa réécriture.

Le fait de parler de l'adultère et du fait que la châtelaine soit mariée est important, car c'est l'un des changements importants opéré par la reine de Navarre, et cela démontrera plus tard dans l'analyse l'influence qu'a eue la Réforme sur la littérature[6].

Pour pouvoir parler du dénouement de l'ancienne version du récit, il importe de comprendre ce qui a provoqué cette fin, à commencer par les personnages.

L'auteur ne leur donne pas de noms, et nous ne savons rien de leur physique. La châtelaine n'est pas décrite, nous savons juste qu'elle est la nièce du duc de Bourgogne et qu'elle a un mari. Dans le récit, elle n'a que deux scènes bien à elle : celle de la rencontre dans le verger, et celle de sa mort. Lors du bal de la Pentecôte, l'écrivain insiste ainsi sur son innocence et sa candeur :

Pour la châtelaine, ils [ces mots] font le jour sur la trahison de son ami à cause de laquelle elle devient blessée et déçue. Par conséquent elle n'est capable ni de se défendre, ni de poser des questions à la duchesse[7].

En effet, lorsque la duchesse insinue qu'elle est au courant de sa relation avec le chevalier, la châtelaine ne réagit pas : « Et la chastelaine remaint / Li cuers li trouble d'ire et taint / Et li mue trestoz el ventre » (La Châtelaine de Vergy, vv. 723-725).

Le personnage de la duchesse n'est pas décrit non plus : l'auteur a, pour elle, préféré mettre l'accent sur sa manipulation. Elle manipule facilement le duc lorsque, blessée par le refus du chevalier, elle raconte qu'il lui aurait fait des avances : « Haez doncc, dist ele, celui / (Sel nomma) qui ne fina hui / De moi proier au lonc du jor / Que je li donaisse m'amor » (La Châtelaine de Vergy, vv. 125-128). Elle manipule également son mari lorsqu'elle veut savoir de qui le chevalier est épris.

Quant au duc, son rôle est celui d'un souverain ordinaire, si ce n'est qu'il trahit la confiance que lui accordait le chevalier, en divulguant son secret à sa femme.

Dans l'ancien texte de La Châtelaine de Vergy (ainsi que dans la réécriture de Marguerite de Navarre), le dénouement est amené par la mort des deux amants, qui peut être résumée de manière simplifiée : la châtelaine, ayant été trahie par le chevalier, pense qu'il a divulgué leur secret à la duchesse car il en est amoureux : « Ne ce ne li deïst il ja / S'a li n'eüste grant acointance / Et s'il ne l'amast sanz doutance / Plus que moi qui il a trahie » (La Châtelaine de Vergy, vv. 740-743). Elle meurt donc de la trahison de son amant, et de ne pouvoir vivre sans lui.

Dans l'ancien récit, la châtelaine fait un monologue avant de s'effondrer, dans lequel elle explique à quel point elle aimait son amant. Sa douleur est perceptible dans ses phrases :

A la dame fidèle fait antithèse le serviteur parjure : au je privé de son bien, un tu qui, dans cette amertume, devient il, se voit comme rejeté parmi les choses d'un monde qu'on va quitter[8].

La châtelaine ne se considère pas comme fautive : « Onques avant ne puis ne primes / En penssé n'en dit ne en fet / Ne fis ne poi ne grant mesfet / Par qoi me deüssiez haïr » (La Châtelaine de Vergy, vv. 764-767). Ses malheurs sont donc dus au chevalier.

Pourtant, elle ne le condamne pas, bien au contraire elle lui pardonne sa trahison et accepte cette mort : « Mais elle pardonne à son ami : la mort qu'elle choisit est douce parce qu'elle vient de lui (vers 823-834) »[9]. Puisque cette mort est la faute du chevalier, elle ne souffre pas et l'accepte. Elle va même plus loin, en demandant à Dieu de le combler d'honneurs : « Et a celui qui a son tort / M'a trahie et livree a mort / Doinst honor, et je li pardon » (La Châtelaine de Vergy, vv. 825-826).

Elle avoue même que cet amour était pour elle comme une religion, qu'elle aurait préféré tout perdre, même ce que Dieu aurait pu lui proposer, plutôt que de perdre son ami car la perte de son amant est plus elle plus tragique que de perdre le Paradis : « Quar, se tout le mont et neïs / Tout son ciel et son paradis / Me donast Dieus, pas nel preïsse / Par convenant que vous perdisse » (La Châtelaine de Vergy, vv. 775-778). Ce passage résume la relation fusionnelle qu'entretenaient la châtelaine et le chevalier, et à quel point leur amour était affiné et pur. La châtelaine considérait même sa relation avec le chevalier comme l'amour parfait : « Ha ! fine Amor ! » (La Châtelaine de Vergy, v. 808). Ce vers démontre la vision de l'amour parfait au XIIIème siècle.

Bien que ce passage ait une référence religieuse, la châtelaine ne demande ici que la miséricorde et la pitié de Dieu : « Ne ma vie ne me plest point ; / Ainz pri Dieu que la mort me doinst » (La Châtelaine de Vergy, vv. 819-820). Comme elle ne pense pas avoir commis de faute qui mérite la mort, la châtelaine ne se repentit pas.

Le chevalier, au contraire de son amie, ne meurt pas de chagrin, mais au contraire se suicide, en proie à des remords et souhaitant s'infliger ce qui lui semble juste, et que son amante a injustement subi : « Més je ferai de moi justise / Por la trahison que j'ai fete » (La Châtelaine de Vergy, vv. 894-895). Le chevalier, par son geste, espère rendre justice à la femme qu'il aimait, et qu'il a involontairement tuée. Sa mort est donc considérée comme une vengeance au nom de sa dame, pour montrer « la responsabilité ressentie par le héros par rapport à ce qu'il avait commis et causé »[10].

Le chevalier fait lui aussi un monologue, devant le corps sans vie de la châtelaine. Sa fonction est de montrer aux lecteurs ses remords et sa responsabilité par rapport à la mort de son amie : « Comme trichierres desloial / Vous ai morte ! » (La Châtelaine de Vergy, vv.888-889). Le chevalier se suicide donc car, après la mort de son amie, il ne lui reste pas d'autre alternative que la mort.

Le personnage

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