Rhinocéros par Ionesco
Par Andrea • 10 Octobre 2018 • 1 938 Mots (8 Pages) • 770 Vues
...
La définition du terme « monstre » ne se termine pas là. C’est par l’étude du personnage de Bérenger, l’antihéros de la pièce, que nous comprenons l’affirmation de Ionesco quand celui-ci se définit comme « une anomalie, un monstre ». Pour commencer, contrairement au personnage de Jean, Bérenger traverse une crise identitaire et est le seul personnage à se questionner sur les principes fondamentaux de l’humanité ; les valeurs morales du travail et le sens que nous attribuons à la vie. Laissé à lui même, c’est au dernier acte que Bérenger regrette son statut d’humain. On note ainsi la présence du champ lexical se rapportant au corps humain où Bérenger dévalorise celui-ci; « que c’est laid un front plat», « peau flasque», « paumes », « mains moites », « corps », « poilu », « je ne suis pas beau, je ne suis pas beau ». (p. 161) En effet, la domination des rhinocéros dans la ville perturbe les valeurs établies de Bérenger. Au départ considéré comme des « monstres », ils sont maintenant majoritaires et c’est Bérenger, étant devenu le seul humain de la ville, qui est présenté comme un « monstre ». Il continue ainsi de souligner ses « défauts » d’être humain par le biais de plusieurs aspects : D’abord par la couleur de sa peau, étant rendu « trop blanche » et qui est mis en contraste avec la « magnifique couleur vert sombre » que le personnage accorde aux bêtes, ensuite il compare la texture de celle-ci avec celle des animaux par de nombreuses séries d’oppositions binaires telles que : « moites » et « rugueuses », « flasque » et « dure » ainsi que « poilu » et « sans poil ». Bérenger poursuit ses comparaisons avec le son de sa voix et le « charme certain » des barrissements qui s’oppose au « hurlement faible » qui « manque de vigueur » de sa propre tonalité. Étant le dernier humain de la ville, c’est par la force majoritaire que les valeurs changent. Les signes de beautés sont donc inversés et c’est maintenant la dureté, la couleur sombre de la peau et les barrissements qui sont désormais honorés. Le terme du « monstre » désigne donc ici l’originalité du personnage.
Pour finir, les trois actes de la pièce reflètent le sentiment d’étouffement et de solitude que ressent Bérenger suite aux nombreuses transformations des gens qui l’entourent. La pièce de théâtre débute dans un lieu public, sur la terrasse d’un café, se poursuit ensuite au bureau de Bérenger, un lieu de travail, puis se termine dans la chambre du personnage, un lieu petit et privé. Toute fois, c’est vraiment par la distorsion du langage de son monologue final que Bérenger vient encrer son mal existentiel profond. Dans celui-ci, le personnage est totalement dépassé par les évènements. Les émotions et les mots lui échappent, le monologue est confus, la ponctuation est abusive, les répétitions et les interjections se font nombreuses ; « crois-moi, Daisy ! Daisy ! Daisy Où es-tu, Daisy ? Tu ne vas pas faire ça Daisy? », « Personne ne peut m’aider à la retrouver, personne, car il n’y a plus personne ». La panique, l’angoisse sont alors transmises. De plus, les nombreux questionnements de Bérenger laissés sans réponses transmettent l’impuissance du personnage face au destin; « qu’est-ce que du français? », « les mutations sont-elles réversibles? ». Encore en quête de lui-même, Bérenger prend conscience de la solitude irréversible à laquelle il fait face et c’est par ce monologue final que Ionesco transmet, par l’incarnation de Bérenger, l’impuissance complète du langage face au mouvement totalitaire dont il a été témoin en Roumanie lors de la montée en puissance des fascismes de La Garde de fer. La définition du « monstre » prend alors tout son sens ; le « monstre » désigne les individus qui refusent de se rallier aveuglément à une cause ou à une autre. Ionesco se définit comme « une anomalie, un monstre », car il refuse de se plier aveuglément aux mouvements totalitaires qui l’entourent.
En conclusion, la double définition du terme « monstre », employé par Ionesco, ce fait comprendre à la fois par le fanatisme exagéré de Jean et des différents groupes de personnages de la pièce et par le biais de Bérenger, l’antihéros de la pièce. Jean et les groupes de personnages dénoncent la « monstruosité » des différentes formes de totalitarisme, des fanatiques qui font germer les idéologies qui retirent aux humains ce qui fait leur office, soit leur esprit critique et leur raison, cette fine ligne entre l’homme et la bête (rhinocéros). Bérenger, lui, nous fait comprendre que le « monstre » peut aussi être soi-même ; emprisonné dans une profonde solitude existentielle par le refus de suivre un mouvement totalitaire et complètement impuissant face aux évènements. L’homme se sent «monstre» quand celui-ci constitue la minorité face aux idéologies d’une société métamorphosée.
Nombre de mots : 1929
...