Rhinocéros, Ionesco
Par Raze • 12 Octobre 2018 • 1 313 Mots (6 Pages) • 612 Vues
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seule manière d’éviter le « pire » (la guerre) qu’il sait possible n’est pas de devenir rhinocéros lui-même.
Le désire de métamorphose s’exprime fortement dans ce passage à travers la répétition du verbe vouloir au conditionnel. De même on relève des formules comparatives qui révèle des vœux de rhinocéros « être comme eux » « faire comme eux » il tente même d’adopter le barrissement il essaie de les imiter « ahhhh » « brrrr ». La scène ici parait comique (comique de mot, de geste, de situation) mais d’un comique qui contient une dimension de tragique.
Le discours de Béranger passe de l’espoir au constat de l’échec « ça viendra peut-être » à « je ne deviendrai jamais rhinocéros »
Le monologue multiplie aussi les aveux impuissants par l’abondance de phrases négatives « non ce n’est pas ça » « je n’arrive pas à barrir » « je ne peux plus changer » « je ne peux pas ». Le caractère définitif de cette impossibilité à être rhinocéros est souligné par des adverbes tels que « jamais plus « trop tard »
b) Béranger : une nouvelle figure héroïque ?
Si Béranger demeure homme, c’est d’abord parce que sa transformation en rhinocéros ne fonctionne pas. Ce n’est donc pas par héroïsme qu’il résiste.
Lorsqu’il dit : « malheur à celui qui veut conserver son originalité » Béranger exprime ici en peu de mot la nature du conflit qui l’oppose aux rhinocéros. Il faut comprendre par ces mots qu’il est nécessaire d’une part ce qui fait la spécificité de l’homme (sa civilisation) et d’autre part de souligner le caractère tragique du destin de celui qui s’engage dans la protection de cette civilisation. Car toutes résistances, tout engagement comporte nécessairement des risques.
On ne peut manquer de voir ici, des allusions au contexte militaire non seulement de la seconde guerre mondiale mais aussi de toutes les idéologies totalitaires.
L’échec de sa transformation conduit Béranger à sortir de sa léthargie initiale pour se dresser contre la rhinocérite.
Ce changement radical apparaît dans la gestuelle même du personnage. Il est dit que Béranger « a un brusque sursaut » et « se tourne où sont fixés les têtes ». On relève l’emploi du futur simple dans les phrases affirmatives qui marque l’engagement de Béranger « je me défendrai » «je le resterai » (dernier homme). La phrase négative qui clos la pièce « je ne capitule pas » n’exprime pas son impuissance, mais sa résolution à passer à l’action : « ma carabine, ma carabine »
Il y a incontestablement une évolution psychologique chez Béranger qui peu à peu assume la résistance que désormais il incarne, ne pouvant plus reculer. Les dernières répliquent constituent un véritable retournement de situation car Béranger à renvoyer les rhinocéros à leur monstruosité réelle.
Le dénouement de cette pièce est cependant ouvert car ce monologue final ne consacre pas véritablement le triomphe des valeurs humaines sur l’animalité rhinocérique. L’inégalité des forces en présence laisse présager une issue fatal au combat que Béranger veut mener jusqu’au bout (allégorie : jusqu’à la mort). Toutefois la présence des verbes au futur ouvre une petite fenêtre à l’espérance. La faillite de l’humanité n’est pas non plus prononcée de façon péremptoire (de façon catégorique). L’essence de la dignité de l’être humain réside dans cette responsabilité que prend Béranger de ne pas capituler.
Conclusion
La force de ce monologue final dont le destinataire ultime est peut-être le spectateur lui-même tient essentiellement dans son ambigüité. Faut-il interpréter la résistance de Béranger comme le signe d’un espoir adressé aux hommes face aux tentations totalitaristes ? Ou convient-il au contraire de voir dans l’absurdité de la situation de Béranger face au monde d’un constat profondément pessimiste sur la condition humaine ? Ionesco semble avoir laissé le lecteur libre de son interprétation.
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