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Les Fleurs du Mal, Section Tableaux Parisiens, "Les petites vieilles" - Charles BAUDELAIRE

Par   •  4 Juillet 2018  •  1 804 Mots (8 Pages)  •  960 Vues

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Il s’agit de la représentation d’êtres pathétiques et ridicules dominée par :

– des références à leur âge avancé faisant d’elles de véritables vestiges archéologiques de l’ancien Paris (cf. « décrépits » v.4, « jadis des femmes » v.5, « reliques » v.11, « vieilles » v.21)

– la faiblesse physique de créatures presque irréelles (« fantôme débile » v.25, « être fragile »)

– la souffrance, l’accablement : verbes traduisant l’écrasement au sol (« ils rampent » v. 9, « se traînent » v. 13), lexique de la souffrance (« brisés », « tordus », « animaux blessés »), « flagellé

par des bises iniques » (notez l’assonance en [i] soulignant la douleur)

– On notera l’insistance sur la description des corps de ces vieilles qui semblent de véritables et

monstrueux pantins désarticulés (leurs corps difformes ne semblent plus leur appartenir, ni leur obéir) : « ces monstres disloqués » v.5, « Monstres brisés, bossus ou tordus » v.6, « marionnettes » v.13 « dansent, sans vouloir danser », « tout cassés » v.16, « discords » v.30

sera attentif aux antithèses qui structurent la représentation :

– On

– v.6 « Eponine ou Laïs » : opposition vertu / vice => femme ambivalente comme souvent chez Baudelaire

– opposition extériorité / intériorité : à la dévastation extérieure des ces petites vieilles s’oppose la

profondeur intérieure (« âmes » v.7) symbolisée par des « yeux perçant comme une vrille » v.16,

des « yeux divins de la petite fille » v.19, des « yeux mystérieux » v.35

– opposition entre répulsion (cf. analyses précédentes) et fascination (« enchantements »,

« charmants », « charmes », ...)

c) La posture du poète

– On remarquera un ton froid et cruel accompagné du détachement digne d’un géomètre (« méditant sur

la géométrie » v.29 : la froideur cynique provient du décalage entre une réflexion sur la mort prochaine des petites vieilles et les considérations sur la « forme » et la taille du cercueil qui leur sera offert !)

– Cependant, ce ton n’est que superficiellement cruel, car on ressent une indéniable pitié ou charité du poète face à ces créatures : « aimons-les » v.4, « divins » v.19, ... Par ailleurs, le poète semble ressentir une véritable sympathie (au sens étymologique : capacité à partager les mêmes sentiments, les mêmes émotions) face à ces vieilles qui paraissent être le miroir de l’accablement spleenétique que ressent le poète comme en témoigne les vers 35/36 : « Ces yeux mystérieux ont d’invincibles charmes / Pour celui que l’austère Infortune allaita ».

III) Un poème moderne

a) Une modernité thématique

– Incontestablement, un poème moderne dans le choix du thème : la ville et les créature anonymes qui

la peuplent

– Modernité aussi dans le mélange du prosaïsme (description de la ville et des vieilles) et de l’onirisme

(révélateur des thématiques obsédantes de Baudelaire) : il ne s’agit plus de fuir ou d’idéaliser le réel comme les classiques ou les romantiques, mais bien de fonder une nouvelle poésie qui accepte la réalité du monde moderne dans son champ.

b) Les vieilles comme allégorie de la modernité

– Baudelaire définit lui-même la notion de modernité poétique dans Le Peintre de la vie moderne : « La

modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel

et l’immuable. »

– La modernité n’est donc pas véritablement ce qui s’oppose à l’ancien, ce qui le dépasse, mais plutôt

une volonté de se faire la « mémoire du présent » (expression empruntée au Peintre de la vie moderne), une volonté donc fixer les aspects éphémères, le transitoire (alors que l’art tentait jusque là de figer l’absolu, l’éternel, l’immuable).

– Les petites vieilles appartiennent à la fois aux temps anciens et modernes (= vestiges, ruines du passé prises dans la modernité urbaine). Ce sont des allégories de la modernité : modernes, car elles ne sont que des passantes en mouvement (cf. le poème « A une passante ») que contemple pendant un temps le poète et qu’il fige dans son poème, anciennes car elles représentent l’éternel et l’immuable dans ce monde qui se métamorphose. Elles représentent à la fois le transitoire et l’éternel, c’est en cela qu’elles sont une allégorie de la modernité.

c) Une esthétique de la laideur ?

– Rappel du projet de Baudelaire : « extraire la beauté du Mal » (cf. préface) « Tu m’as donné ta boue et

j’en ai fait de l’or » (épilogue)

– Ce poème est particulièrement révélateur de cette esthétique de la laideur propre à Baudelaire : la

laideur, l’horreur, le mal, ... deviennent des objets poétiques dont on peut faire surgir la beauté, le Beau (Retenez la formule de Baudelaire « Le Beau est toujours bizarre »). Ici, « l’horreur » de la ville « tourne aux enchantements » (antithèse révélatrice), les petites vieilles, ces « monstres disloqués », sont à la fois « décrépits » et « charmants » (antithèse, là aussi révélatrice). C’est en ce sens que l’on peut aussi dire que ce poème est moderne, parce qu’il prend pour objet poétique la laideur et l’horreur banale de la réalité urbaine.

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