Parfum exotique, Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire
Par Ninoka • 8 Novembre 2018 • 2 235 Mots (9 Pages) • 864 Vues
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(v.7) ; « port rempli de voiles et de mâts » (v.10) ; « vague marine » (11) ; « verts tamariniers ». L’île est généreuse et la végétation luxuriante offre ses meilleurs fruits ; l’enjambement externe (en fin de vers le complément est séparé de son verbe) (v.5-6) étire sur deux vers l’idée que la nature donne à profusion d’autant plus que les groupes nominaux en fonction COD sont au pluriel :
« Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux »
Cette richesse se retrouve dans les rimes riches des 2 premiers quatrains « heu/r/eux » « chaleu/r/eux » (v.2 et 3) ; « automne » « monotone » [o / t / o / n] (v.1 et 4) ; « savou/r/eux » « vigou/r/eux ». La douceur de vivre se retrouve dans la chaleur du climat « chaud » (v.1) ; « chaleureux » (v.2) ; « feux » « soleil » (v.4) « charmants climats » (9) qui offre une agréable lumière.
* C’est un véritable Jardin d’Eden qui s’offre devant les « yeux fermés » du poète ; jardin où règne l’oisiveté et la langueur comme le montre l’hypallage « île paresseuse » (v.5) (une hypallage est une figure de construction qui lie syntaxiquement un mot à un autre alors qu’il se rattache logiquement et sémantiquement à un terme extérieur : ici ce sont les personnes qui sont paresseuses et non l’île) qui personnifie l’île car l’être est en osmose et en symbiose avec la nature. Dans La Bible, c’est lorsque l’homme et la femme seront chassés du Jardin d’Eden qu’ils seront condamnés à travailler. L’homme et la femme y vivent en harmonie, à l’état de nature (nus semble-t-il) → santé du corps et la santé morale visible par la « franchise » (v.7-8) :
« Des hommes dont le corps est mince et vigoureux
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne »
L’endroit devient utopique ; lieu de bonheur qui renvoie au paradis baudelairien alliant exotisme et sensualité.
B – Un port entre terre et mer
* La femme devenue îlot paradisiaque est également associée au port maritime. (Cf « L’Invitation au voyage » « Le Port »). Telle une boussole, le poète se sent « Guidé par son odeur » (v.9). Il y observe « un port rempli de voiles et de mâts » (v.10) voiles et mâts = synecdoques du bateau (une partie désignant le tout) personnifiés car ils sont « fatigués ». Le port devient alors lieu de repos, port d’attache en même temps qu’une invitation au départ et une ouverture sur l’infini de la mer. Le marin a été porté par la « vague marine » (v.11) et se réjouit en chantant d’être revenu au port « le chant des mariniers » (v.14) (extase qui clôt le poème et l’étreinte sur un chant…)
* De même que tous les sens ont été réveillés, tous les éléments se mêlent sur cette île pour créer une harmonie. L’île aussi bien que le port sont à mi-chemin entre terre et mer. Sur l’île il y a deux éléments : le feu (cf. soleil ardent) et la terre (cf. terre nourricière qui donne des fruits) et le port en appelle 2 autres : l’air qui agite les voiles et « m’enfle la narine » et l’eau « rivages » (v.3) « vague marine » (v.11). Le thème maritime est mis en relief par le rythme rare du trimètre (4/4/4) « Je vois un port / rempli de voi / les et de mâts » qui fait penser au rythme des vagues. 4 4 4
III – Une rêverie poétique
A – L’imaginaire éthéré du poète
* Cette évasion sensuelle et érotique devenue évasion exotique transparaît dans un voyage poétique. Le poète est visionnaire : les sens sont à l’origine d’une poésie évocatrice. Quelques décennies plus tard Rimbaud dira dans sa lettre à Paul Demeny dite Lettre du voyant que « Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu ». Baudelaire le dit lui-même à 3 reprises « je vois » (rêve puissant, actualisé et vécu) et tel le devin aveugle Tirésias, il voit « les deux yeux fermés » (v. 1). N’oublions pas qu’il est « ensorcelé » par cette femme « charmants climats » (cf étymologie de charme) et l’envoûtement peut créer des hallucinations…
* Aussi le poète va être totalement emporté par ses visions : lui qui était en position de sujet sur les 3 premières strophes est en position d’objet dans la dernière « le parfum […] m’enfle la narine » (pronom personnel élidé « m’ » = COI) ou bien au cœur d’un complément circonstanciel de lieu « se mêle dans mon âme » (v.14) car l’évasion devient spirituelle. Plus que ses visions ou son imagination, c’est sa poésie qui emporte le poète dans un voyage érotique et exotique pour devenir évasion poétique comme le montre le dernier tercet : « Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers »
L’allitération en [m] souligne la présence du moi poétique très présent à la fin. Ici la correspondance est verticale (le parfum monte comme une vapeur, une fumée d’encens) et élève l’âme du poète.
B– Correspondances des sens et des harmonies poétiques
* La synesthésie des sens – largement exploitée par les symbolistes qui y voyaient un témoignage de l’unité secrète de la nature – entraîne une correspondance avec la musicalité du poème. La correspondance des 5 sens (dite correspondance horizontale) crée une harmonie visible et surtout audible dans le poème. Le parfum, les odeurs, les senteurs émanent derrière les nombreuses allitérations en [r] qui imitent également le roulis des bateaux. Les sensations correspondent effectivement entre elles (l’odorat entraînant le toucher, la vue…) et elles transpirent dans les alexandrins :
« Je respire l’odeur de ton sein chaleureux » (v.2)
« Guidé par ton odeur vers de charmants climats » (v.9)
« Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine » (v.12-13)
* Ces correspondances sensorielles et poétiques entraînent une harmonie que l’on entend
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