La ballade du duel cyrano
Par Junecooper • 9 Novembre 2018 • 2 212 Mots (9 Pages) • 2 270 Vues
...
> à poser des questions à Cyrano (v.3 « Qu'est-ce encor qu'il dit ? » ; v.6 « Qu'avez-vous ? » ; v.11 « Une ballade ? » ; v.18 « Qu'est-ce que c'est que ça, s'il vous plaît ? ») : cela traduit son manque d'assurance, son manque de maîtrise de la situation. Pour les deux dernières questions, on voit que le vicomte manque même de vocabulaire (il ne connaît visiblement ni le terme « ballade », ni le terme « belître »)
> à insulter Cyrano avec des insultes très convenues (= banales) : cf. l'énumération d'insultes au v.1 « Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule » que Cyrano retourne contre son adversaire en « ôtant son chapeau et saluant comme si le vicomte venait de se présenter : Ah ?... Et moi, Cyrano-Savinien-Hercule / De Bergerac » (v.2-3). La reprise de l'insulte dès sa réplique suivante traduit l'absence de répartie de Valvert : « Bouffon ! » (v.3), et plus loin « Poète ! » (v.8)
=> Ainsi, Cyrano fait de l'humiliation de son adversaire un spectacle comique dont il maîtrise tout, de l'écriture à la mise en scène en passant par le jeu. Mais cette première apparition du personnage sur scène est surtout l'occasion pour Rostand de présenter son personnage éponyme.
II. Le portrait de Cyrano
1. Un matamore (de l'espagnol mata moros, « tueur de maures » : personnage de la commedia dell'arte, soldat vantard qui met en avant sa bravoure et son mérite, réels ou imaginaires ; syn. : bravache, hâbleur, fanfaron)
- on voit la fanfaronnade du personnage dès les premiers vers : « Ay !... […] Il faut la remuer car elle s'engourdit... / Ce que c'est que de la laisser inoccupée ! / Ay ! […] J'ai des fourmis dans mon épée ! » (v.3 à 6). Cyrano joue ici sur un effet de chute : en effet, le pronom « elle » est d'abord utilisé sans référent, et ce n'est qu'à la fin qu'on comprend qu'il s'agit de « [son] épée », qui est donc personnifiée. Elle devient ainsi une extension de Cyrano, comme un membre à part entière de son corps : cf ; l'interjection « Ay ! », répétée, et les didascalies : Cyrano « poussant un cri comme lorsqu'on est saisi d'une crampe » et « grima[çant] de douleur » (didascalie du v. 3)
- cf. la façon dont il désigne le combat en duel : « un petit coup charmant » (v.7 : oxymore), « en ferraillant » (v.9 : euphémisme) + onomatopée « hop ! » > cela donne à la menace un ton très léger, badin ; il présente le duel comme un jeu facile
- cf. dans la ballade, l'importance donnée à soi-même :
> omniprésence du pronom de première personne
> les nombreux termes mélioratifs le désignant (« avec grâce » v.21, « élégant » v.25, « agile » v.26) > éloge de lui-même
> la métaphore assimilant son épée à « une mouche » qui « voltige » (v.24), ce qui montre sa rapidité
> le champ lexical de l'escrime qu'il utilise : « je tire mon espadon » (v.24), « Tac ! Je pare la pointe dont / Vous espériez me faire don : / J'ouvre la ligne, je la bouche... » (v.40-42) ; « Je quarte du pied, j'escarmouche, / Je coupe, je feinte... » (v.46-47)
- cependant, Cyrano mérite le prestige qu'il s'attribue : il est authentiquement un habile duelliste (il gagne le combat, comme l'indique la didascalie finale : « le vicomte chancelle ») et se caractérise par un réel panache (= vaillance, éclat et prestige de guerrier. Rostand lui-même, dans son discours de réception à l'Académie française, définira ainsi le panache : « C'est quelque chose de voltigeant, d'excessif – et d'un peu frisé […] Le panache, c'est l'esprit de bravoure […] Plaisanter en face du danger c'est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l'héroïsme, comme un sourire par lequel on s'excuse d'être sublime » [6])
Cependant, son art de l'escrime est avant tout verbal, ce sont ses mots qui sont des armes habilement maniées.
2. Un esprit virtuose : humour et éloquence (= maîtrise de l'art oratoire)
- un érudit : Cyrano manifeste sa culture par sa maîtrise de l'art poétique (il donne la définition de la ballade sur un ton didactique, v.12-13) mais aussi par ses nombreuses références littéraires antiques ou contemporaines > il cite Céladon v.25 (héros d'un roman du XVIIe), Scaramouche v.26 (personnage-type de la commedia dell'arte dont le nom vient d'ailleurs de « escarmouche », petit combat), Mirmydon v..27 (personnage mythologique) aussi bien que Laridon (personnage emprunté à la fable « L’Éducation », de La Fontaine).
- un homme vif d'esprit : il improvise des vers brillants en « une seconde » (didascalie du v. 19) ; l'éloquence est marquée par la profusion d'exclamations (« ding-don ! » v.33) et de questions rhétoriques (« vous rompez, plus blanc qu'amidon ? » v.38)
- un homme spirituel : il témoigne à Valvert, au début, un respect apparent (cf. le geste de salut dans la didascalie du v.1 « ôtant son chapeau et saluant » ; les apostrophes respectueuses voire affectueuses : « monsieur » v.8 et , « cher Mirmydon » v.27 ; le vouvoiement). Mais le mépris de Cyrano transparaît, et il ridiculise par ailleurs son adversaire avec des désignations péjoratives mises en valeur à la rime (« dindon » v.30, « pleutre » v.39) ; cf. aussi le mot familier « bedon » (v.35) ; le passage au tutoiement v.42 (« Tiens bien ta broche, Laridon ! »). De plus, l'apostrophe Mirmydon est dévalorisante (= homme-fourmi) ; de même, Laridon est formé sur le mot « laridum » (lard, en latin) > Cyrano tourne en dérision son adversaire grâce à l'ironie.
=> Ainsi, Cyrano fanfaronne, mais son mérite est réel : c'est un habile duelliste, tant sur le plan physique que verbal.
Conclusion
- [bilan] : ce passage met en scène un duel spectaculaire et comique, et parce que le personnage y apparaît pour la première fois dans tout son panache : à la fois fanfaron et virtuose, de l'épée comme du verbe.
- [ouverture] > (suite de Cyrano de Bergerac) : Malgré ses qualités, Cyrano,
...