La Princesse de Clèves : la rencontre entre Mlle de Chartres et M. de Nemours
Par Ramy • 8 Juillet 2018 • 1 362 Mots (6 Pages) • 855 Vues
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des regards
On passe de l’ouïe au regard au moment de la rencontre entre les deux personnages (l. 12).
Le regard devient prédominant comme le montre la répétition du verbe « voir » : sept instances du verbe « voir » (l. 12, 15x2, 17, 23, 24, 38) + « cherchait des yeux » (l. 10-11).
L’amour naît uniquement de cet échange, échange qui ne passe que par la vue car dans cette scène les deux futurs amants ne se parlent à aucun moment.
On note que la reconnaissance des personnages se fait avant leur connaissance :
• « Elle […] vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que Monsieur de Nemours » (l. 12-13)
• « Pour moi, Madame, dit Monsieur de Nemours, je n’ai pas d’incertitude » (l. 28).
C. Un rapprochement irrésistible
Les personnages semblent liés par la fatalité : ils agissent malgré eux comme s’il leur était impossible de faire autrement. Les nombreuses tournures négatives marquent leur perte de moyen face à l’autre :
• « vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que Monsieur de Nemours » (l. 12-13)
• « Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu » (l. 14-15) = perte de contrôle de Mme de Clèves
• « il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration » (l. 20-21) = perte de contrôle du duc
Transition : Le destin qui semble vouloir lier les personnages n’est ici cependant pas désincarné : il a le visage du roi et de la reine dauphine.
III. La mise en place d’un piège
A. Le rôle de la cour : un jeu pervers
La cour joue un rôle décisif dans cette rencontre. On sent que Mme de Clèves est poussée :
• C’est le fait que Mme la dauphine lui aie « dépeint (...) tant de fois » (l. 2-4) qui déclenche la passion. Elle n’est donc pas d’origine interne et personnelle mais la conséquence d’un facteur externe.
• Les pronoms désignant Mme de Clèves et M de Nemours subissent l’action dont le sujet est « le roi » ou « la reine » : « Le roi lui cria de prendre celui qui arrivait » (l. 11-12), « Ils les appelèrent » (l. 24), « La reine les interrompit » (l. 39). Ils sont donc manipulés.
La volonté de les piéger transparaît :
• L’expression « sans leur donner le loisir de parler à personne » (l. 25) l’indique clairement.
• Le comportement de la dauphine est pervers puisqu’elle veut obliger Mme de Clèves à répondre : « je crois qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien » (l. 31-32), « vous devinez fort bien » (l. 36). Elle insiste pour faire avouer à Mme de Clèves qu’elle a reconnu M. de Nemours. Il y a un jeu de rivalité, de commérage, de perversité.
B. Deux conceptions de la parole
Les personnages choisissent deux stratégies de parole différentes pour ne pas trahir le coup de foudre qu’ils ont eu l’un pour l’autre.
Le discours que tient le Duc est un discours de courtisan habile, habitué aux pratiques de la cour. Il ne nie pas les évidences et déporte dans la seconde partie de sa réponse l’interrogation de Madame la Dauphine comme si c’était lui qui demandait à être présenté à la Princesse. Son discours est plein de retenue :
• double négation « pas d’incertitude » (l. 28)
• litote « les mêmes raisons » (l. 29), qui désigne la beauté de Mme de Clèves.
Cette réplique qui favorise l’énigme joue le jeu de la discussion de salon. Le Duc désamorce habilement le piège de la Dauphine en assumant d’emblée l’admiration qu’il a pour la Princesse.
La Princesse perçoit le danger et refuse de se plier aux questions de la Dauphine, car la cour attise les passions tout en les condamnant. Elle commet deux erreurs fondamentales.
• Elle manifeste une gêne face au questionnement de la Dauphine : « paraissait un peu embarrassée » (l. 34-35).
• Elle nie cette gêne : « Je vous assure » (l. 34).
Elle se pense attaquée et se met sur la défensive. Elle transforme ainsi le jeu de salon en interrogations douteuses alors que le Duc avait réussi à faire l’inverse.
Cette opposition des discours est l’indice d’un amour perdu d’avance. Les deux personnages manifestent deux conceptions opposées de la cour et du monde : l’un joue avec les conventions de la cour, ce dont l’autre est incapable.
Conclusion
Cette scène de rencontre est placée sous le signe de la perfection, et l’amour entre les deux protagonistes est montré comme inévitable. Toutefois on trouve déjà dans cette scène des indices témoignant du caractère fatal de cette passion, condamnée d’avance. Cet extrait met en place les lignes de force du roman tout entier. Il annonce également dans quel type de courant esthétique on se situe : le classicisme. La simplicité du vocabulaire, le refus des images, le peu de paroles échangées montrent que l’intérêt de la scène et du roman est fixé sur le non-dit, la retenue.
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