Guillaume Apollinaire : Alcools, Automne malade commentaire
Par Matt • 3 Mai 2018 • 1 199 Mots (5 Pages) • 1 936 Vues
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v. 7 : « neige » / « fruits mûrs » ;
─ v. 15 : « tombant » / « fruits ».
La valeur symbolique de l’automne est ici tout entière dans ce jeu subtil de contrastes, qui soulignent, en même temps que la fécondité de la vie, l’arrivée imminente de la mort. C’est l’image même de la fragilité de la vie, avec une originalité certaine, le lyrisme élégiaque d’Apollinaire.
De plus, l’imminence de la destruction au cœur même de la richesse se traduit deux fois par une menace. La première est celle du souffle de l’ouragan, annoncée par le futur du (v. 2). Plus nette encore est la menace des vers 8-11 :
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé
Les « nixes », sur lesquelles planent les oiseaux de proie, sont, dans la mythologie germanique, des Ondines, divinités des eaux. Elles rappellent ici le Rhin (leurs cheveux « verts » sont des algues). « Nicettes » signifie en ancien français « simplettes » ; l’adjectif est appelé phonétiquement par « nixes », maisil a aussi une valeur dépréciative reprises « naines ». Ce sont les filles en mal d’amour, comme la Loreley. Elles symbolisent l’échec de l’amour, si souvent lié, chez Apollinaire, aux thèmes automnaux (voir « Signe »)..
3. La musicalité du vers
Dans ce poème extrêmement musical, Apollinaire sollicite l’imagination sonore du lecteur par la nature même des bruits automnaux qu’il suggère : le souffle de l’ouragan (v. 2), le brame des cerfs (v. 13), la plainte du vent (v. 16). C’est, en somme, le décor sonore objectif de l’automne, juste et précis.
Plus intéressante est la transcription musicale des bruits dans le registre poétique. Ainsi, on admirera d’abord la subtilité dans le travail des voyelles au vers 2. Dans ce vers de quinze syllabes, Apollinaire parvient à répéter trois fois la séquence sonore : ou / ra / an :
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
1 2 3
C’est là un exemple remarquable de l’adéquation de la musique du vers à l’idée rendue, la plainte suggérée par les bruits.
Un autre exemple du travail sur les sonorités, dans des vers qui précisément parlent de « rumeurs », se trouve aux vers 14-17. Ce sont à la fois les répétitions (« que j’aime », « feuille à feuille ») et les rythmes qui sont éloquents. Les deux octosyllabes sont encadrés par deux alexandrins, le premier en rythme 3 × 4 (c’est le trimètre romantique). Cette astuce rythmique amplifie le souffle ascendant de la première moitié de la strophe.
En opposition, les six derniers vers de deux syllabes traduisent, dans une période descendante, le rythme decrescendo de la vie s’écoule. Le phénomène d’écho (« foule » / « roule » / « S’écoule ») marque l’éloignement progressif du train qui roule, et la fuite du temps. L’image des feuilles mortes souligne la déperdition de la vie.
On constate ici, une fois de plus, la source de l’harmonie poétique : le mélange indissociable du thème, des images, des rythmes et des sonorités.
Conclusion
« Automne malade » est donc caractéristique du lyrisme élégiaque d’Apollinaire. On y trouve quelques-uns des thèmes fondamentaux de l’univers poétique d’Alcools : l’automne fragile, l’amour menacé, le temps qui coule, le passage de la vie à la mort. Mais le chant lyrique, la musique des vers, l’intensité de l’affectivité, atténuent la tristesse des idées, et donnent au poème une douceur en demi-teinte, une mélancolie propre au génie singulier du poète.
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