Lecture analytique Zone Guillaume Apollinaire Vers 1 à 24
Par Ramy • 27 Août 2018 • 2 794 Mots (12 Pages) • 1 015 Vues
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ce matin, v.10, v.12; v.15; Voilà, v.12; Il y a v.12, 13)
b) Introspection; le tps du souvenir; le moi morcelé.
L’originalité de ce lyrisme tient aussi à la forme très particulière que prend la manifestation du moi.
Comme ns l’avons dit, la présence du poète se manifeste par deux pronoms (je et tu), ce qui donne une vision du moi morcelée. Par la suite, lorsque certains auteurs emploieront aussi la 2ème pers du sg pr parler d’eux (Nathalie Sarraute, par ex), leur découpage temporel sera facile à repérer : “je” est celui qui parle au présent, celui qui écrit, l’adulte qui analyse; “tu” est l’enfant du passé, celui qui a vécu les souvenirs rapportés. Mais ici, chez Apollinaire, c’est beaucoup plus confus : impossible de dire assurément à quelle époques respectives appartiennent le je et le tu. Ils semblent assez interchangeables (Tu lis ms j’ai vu et j’aime > je appartient à la fois au présent et au passé; tu sembleêtre davantage lié au présent; mais tu ne renvoie pas qu’au poète (v.7 Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme).
Le Moi d’Apollinaire semble morcelé et voguer de manière erratique entre passé et présent, dans une espèce de “zone” temporelle indistincte où tout se confond. On peut d’ailleurs remarquer que le cadre temporel est des plus vagues : aucune datation ; tout est au présent hormis un seul passé composé à valeur de passé proche (J’ai vu ce matin, v. 15).
Seules deux notations fugaces d’un sentiment témoignent d’un certain recul par rapport à soi (tu es las, v.1; tu en as assez, v.3// la honte te retient, v.9). Pour le reste, on est ds l’immédiateté de la description et des sensations: visuelles (v.4 ont l’air; tu lis, v.11; Voilà, il y a v. 12-14; J’ai vu, v.15) ou auditives, en grand nombre ds les vers 16 à 24 notamment (bêle, v.2; qui chantent, v.11; le clairon, v.16; y gémit, v.19, etc).
c) Rapport complexe à la religion
L’immobililisme du poète peut être mis en parallèle avec celui de la religion (La religion seule est restée toute neuve la religion ,v.5). Pourtant, ces deux positions ne sont pas identiques. Apollinaire semble conférer un autre statut à la religion et il insiste vraiment là-dessus (cf le répétition du mot religion + le contre-rejet en fin de vers) : elle est ni moderne ni ancienne mais éternelle comme le Dieu qu’elle représente. Elle n’est pas soumise, comme les hommes, à la temporalité.
Appolinaire semble donc bien faire la distinction entre modernité et nouveauté; l’une et l’autre ne se valent pas, ou plutôt l’une doit tendre vers l’autre : étymologiquement, neuf vient de nous qui signifie “qui n’a pas encore servi”. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre l’adj neuve (v5). La religion a cette capacité à ne subir aucune altération. En revanche, les hommes et les choses, soumis à l’usure du temps, ont le devoir d’être modernes, cad de tendre vers cet idéal inaltéré. On comprend mieux le v8 (L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X) : les hommes ne sont au mieux que modernes, cad au plus près de cette authenticité originelle.
Ce vers a été assez controversé car certains critiques ont voulu y voir de l’ironie (Pie X, comme dit la note, a été un farouche adversaire de l’adaptation de l’église au monde moderne). C’est probable ms on ne peut cpdt pas en conclure à un anticléricalisme chez Apollinaire : pour lui, la religion est fondamentale, d’abord et avant tout parce qu’elle paraît (ds la suite du poème notamment, v25 à 41 par ex) être liée à son enfance, à une certaine forme de bonheur, de paix intérieure, de rapport authentique et innocent à Dieu. D’où le fait que, à une époque adulte de sa vie, Apollinaire se sente en décalage avec cette pureté enfantine et donc trop misérable ou dépravé par rapport aussi à cet idéal religieux (v9 et 10 Et toi que les fenêtres observent la honte te retient/D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin).
La religion et l’enfance sont donc le seul lieu atemporel où le Moi était lui aussi “neuf”, pur, entier, non encore morcelé, non encore ds cette “zone” tourmentée de l’âge adulte.
3. Un manifeste poétique de la modernité
a) Rejet du passé ou recherche de l’intemporel ?
Ce rejet du passé touche aussi la forme mm du poème et engage une réflexion sur l’écriture poétique. A ce titre, Zone est aussi un manifeste poétique de la modernité.
On a vu qu’Apollinaire était séduit par la religion en général -et le Christianisme en particulier- en cela qu’elle touchait à une forme de sublime. D’une certaine façon, l’écriture poétique d’Apollinaire cherche aussi et la modernité et, surtout, cette forme de beauté atemporelle et éternelle. Au vers 3 Apollinaire rejette l’héritage classique à une époque encore où il était la référence absolue(Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine). On voit bien un peu plus loin que le qualificatif d’antique (v.7) a une connotation péjorative. Il semblerait que la recherche de la forme pure et moderne par excellence (au sens déjà précisé d’intemporelle) soit liée à une esthétique épurée : la religion/Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation (v.6). Apollinaire valorise explicitement la simplicité (simple) et plus implicitement le dépouillement (hangars), la liberté et le mouvement (Port-Aviation). Et de fait, Zone illustre parfaitement le souci esthétique qui est celui d’Apollinaire lorsqu’il parvient à la fin d’une première période d’écriture (rappel : Zone est un des derniers poèmes d’Alcools > écrit en 1912).
b) Forme cubiste du poème
La recherche de la simplicité formelle déjà évoquée plus haut peut être mise en parallèle avec la volonté de géométrisation et de stylisation de l’espace propres aux peintres cubistes que fréquentaient Apollinaire, qu’il a étudiés et qui l’ont fortement influencé (cf analyse de l’image Champ de Mars, La Tour rouge, Delaunay).
De plus, comme les peintres cubistes, Apollinaire a le souci de casser avec la tradition des formes fixes et la régularité imposée qui en résultait. C’est ainsi que Zone n’a aucune régularité strophique :des monostiches pour commencer, puis un tercet, puis une strophe de 18 vers. On note ainsi une amplification du rythme dans la première moitié du poème qui voit ses strophes enfler avant d’entamer, dans la deuxième partie,
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