Français, corpus de textes sur la place du voyageur
Par Ninoka • 3 Octobre 2018 • 1 465 Mots (6 Pages) • 660 Vues
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en tournoyant dans un sens, puis dans l’autre, les verbes d’actions sont nombreux, amplifiant la vivacité de cette scène. L’auteur parle du « prestige » et de « la magie » du tableau qu’offre la bohémienne. En effet, même si le personnage d’Esméralda est bien réel, tout ce qui l’entoure prête à la confusion, prête à lui conférer les aspects d’une apparition. C’est ici que nous allons voir comment des objets, une atmosphère, les émotions des spectateurs, peuvent modifier la conception de la réalité, comment la focalisation prise à des angles différents peut transformer des faits. On passe de l’objectif, à la subjectivité. Tout d’abord, l’influence de l’environnement de la bohémienne est à considérer. Où nous trouvons nous ? « Au fond de la place ». Nous pouvons aisément nous représenter un spectacle donné sur une place de village comme il était coutume de le faire à l’époque, avec tous les passants s’arrêtant pour contempler ce qui s’offrait à leurs yeux. Victor Hugo mentionne, quelques lignes avant, un feu de joie, renvoyant les ombres dansantes et fantomatiques de la bohémienne « sur la façade noire et ridée de la Maison-Aux-Piliers ». En conférant ces qualificatifs « noire » et « ridée » l’auteur renforce ce sentiment de magie, tout dans la scène prend vie, les « vacillations » des ombres, telles des spectres, leurs silhouettes errent même « sur les bras de pierre du gibet ». Nous avons là une référence des plus morbides, puisqu’un gibet à cette époque était une potence pour les condamnés à la pendaison. En poussant un peu loin l’analyse, on pourrait même imaginer que ces ombres vacillantes sont celles des cadavres qui ont connus la mort sur ce gibet. La magie est présente et accompagne dans une symbiose parfaite l’allure endiablée de la danseuse : c’est une magie qui tend vers l’obscurité, l’occulte, qui provoque la fascination. Puis ce sont des émotions qui « faussent » le jugement. La scène par exemple est vue par les yeux de Gringoire qui ignore l’identité d’Esméralda, à ce moment-là son jugement est exprimé au discours direct « En vérité…c’est une salamandre, c’est une nymphe, c’est une déesse, c’est une bacchante du mont Ménaléen ! » Fasciné, il fait appel à sa culture littéraire pour identifier cette « surnaturelle créature » la série d’identifications est soulignée par des anaphores. On note une nette évolution puisqu’il va jusqu’à la comparer à la bacchante et sa folie. Esméralda trouble Gringore par son animalité : « le bourdonnement du tambour » amène subtilement à l’association avec une « guêpe » pour sa taille fine ; ou comme la « salamandre », souvent répétée, que l’on peut lier au feu. Mais toutes ces images sont uniquement provoquées par ses ressentis, car lorsqu’il découvre l’identité de la demoiselle, il s’exclame « Hé non !...C’est une bohémienne » puis « Toute illusion avait disparu ».
Une personne pour qui en revanche l’illusion ne disparaît pas mais au contraire, va croissante, c’est l’inconnu, l’homme « austère, calme et sombre ». Lui la contemple d’un œil perçant et malsain. Ses yeux sont « attachés sur la bohémienne » et sa rêverie « semblait devenir de plus en plus sombre ». On sent dans ces derniers mots une gradation qui s’égare dans l’obscurité ; peut-être parce que la fascination dégagée par Esméralda est aussi diabolique que les pensées sombres qui règnent dans le cœur de cet homme ténébreux et vicieux. La phrase finale de l’extrait laisse planer cette impression de danger, de mauvais mystère, et ne dévoile pas sa réalité. On oscille donc dans le doute, sans pouvoir démêler le vrai du faux, l’inquiétude désirée par l’auteur est extrêmement bien amenée.
Victor Hugo nous égare un peu, il laisse le lecteur dans l’incertitude. Oscillant constamment entre illusion et réalité, entre l’être et le paraître, il exprime avec art, à quel point ce qui nous entoure peut modifier notre perception des choses. L’émotion et l’effet produit par Esméralda en est la preuve : paralysé par la fascination, la passion, un être humain se dégage difficilement des pièges de son imagination, il les facilite même parfois. C’est une réflexion presque philosophique qui, même si l’auteur appartient au courant Romantique, a en l’occurrence une certaine similitude au courant qui viendra un siècle plus tard : le surréalisme, remettant en cause la raison, et se basant principalement sur le rêve et l’imagination intuitive.
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