Commentaire sur Antigène de Sophocle
Par Ramy • 7 Novembre 2018 • 2 586 Mots (11 Pages) • 531 Vues
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de ce dernier. La loi d’un Etat ne peut pas, pour lui, intervertir avec le prisme religieux.
B) Un droit universel imprescriptible au-dessus des lois écrites
Pour Antigone, religion et prescriptions normatives ne sont pas interdépendantes. Ces lois étant innées et universelles, sont naturellement supérieures aux lois des hommes. C’est pour cette raison que la nécessité que ces lois soient écrites est absurde. Elles sont imprescriptibles car transcendante. En effet, Antigone met en évidence que ce sont des "lois non écrites" (l.3). Elles sont au-dessus des lois écrites car elles sont "infaillibles" (l.3). Personne ne peut alors les remettre en question car "personne ne les a vues naître" (l.4). Elles n’évoluent guère avec les époques contrairement aux lois des hommes qui évoluent historiquement et géographiquement. En effet, "ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier, c’est de toujours qu’elles sont en vigueur" (l.3-4), alors que les lois positives sont contingentes, discutables et réformables. Le droit naturel n’est pas un droit donné par convention. Ce ne sont pas les hommes qui décident de ce qui est juste ou de ce qui ne l’est pas. Ces principes sont transcendants à l’être humain. Ils ne dépendent pas de sa personne mais de sa nature profonde. Le droit naturel étant inné, il échappe aux fluctuations de la cité. En violant les lois naturelles, Antigone met en avant que Créon viole ouvertement la nature même de l’homme, par son orgueil. Le discours d’Antigone vise à montrer que le droit à l’inhumation est universel et que, par conséquent, les vivants ont comme devoir de donner une sépulture aux corps des défunts. Cette loi s’applique indépendamment des cultures, des époques ou encore des circonstances particulières car elle est relative au cosmos. Antigone reconnaît certaines valeurs par leur universalité comme souveraines. Frédéric Gros dans son livre Désobéir met en évidence la légitimité de l’action d’Antigone. Il appelle son acte "la dissidence civique" qu’il justifie car "l’expérience de l’intolérable s’épaissit jusqu’à devenir une évidence sociale" (page 7). Pour Antigone, tout être humain a selon une loi transcendante le droit entre autres, à une sépulture. On distingue alors une opposition entre ce qui semble être pour Antigone, un devoir indéniable au nom d’un droit divin et le droit d’un Etat, appliqué rigoureusement par les hommes. Elle met en avant le caractère absurde et dérisoire de la décision de Créon : "Leur désobéir, n’était-ce point, par un lâche respect pour l’autorité d’un homme, encourir la rigueur divine" (l.5). L’adjectif "lâche" a en effet une connotation péjorative qui se suffit à elle-même, car Créon met les lois de la cité au-dessus des lois divines.
Le droit naturel apparaît alors comme une conception idéale du droit. Cependant, il semble que Sophocle utilise la conception d’un droit issu d’une autorité sacrée afin que les hommes n’utilisent pas la loi à des fins insensées. La finalité du discours de Sophocle ne semble pas être la justification de la primauté de certaines lois par leur seule origine divine, mais plutôt de faire prendre conscience aux hommes que l’application du droit ne peut s’écarter de la morale. Le droit doit donc s’approcher le plus possible de cet idéal que représente le droit naturel et donc davantage s’appuyer sur la raison que la simple application stricte de la règle.
II- Un droit naturel synonyme, idéal de Justice
D’après la onzième édition du Vocabulaire juridique de Gérard Cornu, la justice est "ce qui est idéalement juste conforme aux exigences de l’équité et de la raison ; en ce sens la justice est tout à la fois un sentiment, une vertu, un idéal, un bienfait […], une valeur." La justice serait donc un principe transcendant tout comme le droit naturel.
A) Le conflit entre la loi morale et l’ordre politique
L’homme ne peut pas décider sciemment des concepts de bien et de mal. Ils sont en effet inhérents à sa personne. Les concepts de juste et injuste sont donc également intrinsèques à l’homme. Ils ne sont en aucun cas une création de l’homme et ne peuvent donc pas découler du droit positif, car ce dernier émane directement des hommes. Un droit positif juste sera alors en conformité avec le droit naturel et donc la morale. D’après le Vocabulaire juridique, la morale est "par opposition à juridique (ou à civil), [ce] qui relève non du droit positif mais de la règle morale." C’est ce que revendique Antigone : "Si j’avais dû laisser sans sépulture un corps que ma mère a mis au monde, alors j’aurais souffert ; mais ce qui m’arrive m’est égal." (l.7-8). Antigone met en exergue l’engrenage fatal de l’orgueil humain en contradiction totale avec la morale et donc le principe de justice : "Tu estimes, n’est-ce pas, que j’ai agi comme une folle ? J’en dirais autant de toi." (l.8-9). Créon place la cité au-dessus de l’ordre moral. L’ordre politique est alors en conflit avec ce dernier. Cependant, la trop grande immoralité d’un gouvernement n’entache-t-elle pas la pérennité de ce dernier ? Créon, en se montrant impartial, en refusant de tenir compte des circonstances particulières de la situation, est dénoncé par Sophocle comme un tyran. Charles Maurras dit que Créon commet "un acte anticonstitutionnel", dans Antigone, vierge-mère de l’ordre (1948). Il va jusqu’à enlever la vie à une vierge qui n’a pas connu la vie. Les décisions prises sans considération morale poussent donc le droit à s’éloigner de la nature, de l’essence de l’homme. Par conséquent, Antigone rejette une forme de société tout entière, celle fondée sur l’immoralité et la volonté d’assurer son autorité au nom de la paix sociale. Il paraît évident cependant que toute loi pour être respectée doit être l’objet d’une sanction. La conformité de cette dernière à la morale n’est guère une chose facile. Néanmoins, Sophocle dénonce le pouvoir de Créon en mettant en avant qu’Antigone est prête à se sacrifier pour la forme de justice à laquelle elle croit. En effet, nier le droit universel, c’est alors nier la conscience morale. Créon s’avilit, car il ne veut pas laisser la cité à l’anarchie. Goethe disait en effet, "il vaut mieux une injustice qu’un désordre". Tout dépend alors du type et du degré d’injustice. L’homme étant
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